Dans un Liban miné par le confessionnalisme et les divisions politiques, Hussein Abou Mansour, le druze, Mona al-Dorr, la chiite, et Lina Geryes, la chrétienne, se donnent rendez-vous deux fois par semaine pour faire partager une même passion: les produits du terroir.

Avec des dizaines d'autres petits agriculteurs et producteurs, ils vendent sur un marché de Beyrouth des légumes, de l'huile d'olive, du miel ou du fromage, mais aussi et surtout des spécialités de leurs villages.«Que nous soyons chrétiens ou musulmans, nous mangeons tous les mêmes plats», affirme Kamal Mouzawak, chef libanais qui a lancé l'idée du «Souk el-Tayyeb» («le marché aux délices») en 2004, dans le but de perpétuer la riche tradition culinaire libanaise.

Au Souk el-Tayyeb, pas question de parler politique ou religion même si le pays a connu ces dernières années une grave crise qui a failli provoquer une nouvelle guerre civile.

«Il n'y a pas de place pour la politique ici et la cuisine au Liban n'a rien de religieux», explique M. Mouzawak, 40 ans.

Ici, la compétition se situe dans l'assiette. C'est à celui qui préparera le meilleur kebbé, un plat traditionnel composé de viande hachée et de boulgour (blé concassé), ou le plus savoureux taboulé (salade à base de persil).

Pour Hussein, vêtu du traditionnel sherwal noir des Druzes (pantalon ample et bouffant), «un pays peut être uni à travers la nourriture».

Le Souk el-Tayyeb, qui se tient le samedi sur un parking du centre de Beyrouth et le mercredi dans un grand magasin de la capitale, a changé la vie de certains.

«J'ai pu envoyer ma fille de sept ans dans une école privée», affirme Rima Massoud, 42 ans.

«Je pense même rénover ma maison», ajoute cette mère de trois enfants, en cuisant une mankoucheh (galette de thym) au feu de bois.

«Je gagne ma vie chaque samedi et mercredi au Souk el-Tayyeb», affirme Abou Rabih, un agriculteur sunnite de la région du Akkar (nord).

«Plus de 47 familles vivent de ce marché», explique ce père de dix enfants.

Outre les produits du terroir, les organisateurs veulent promouvoir les recettes de grand-mère comme la fassoulya hammaniyeh, un plat d'haricots originaire du village de Hammana (nord-est), des mets à base de chardons de la région du Chouf (est de Beyrouth), ou la mawaraka, une variante du baklava.

Le marché, qui propose aux Beyrouthins des livraisons à domicile, a connu un tel succès que M. Mouzawak a organisé des festivals gastronomiques thématiques à travers le pays ces trois dernières années.

Un restaurant, «Tawlet Souk el-Tayyeb» («la table du Souk el-Tayyeb»), va prochainement ouvrir ses portes, avec au menu des spécialités régionales préparées par différents chefs.

«Je ressens de la fierté quand j'entends un agriculteur dire que le Souk a changé sa vie», dit M. Mouzawak, qui a refusé de fermer le marché durant la guerre de 2006 entre le mouvement chiite Hezbollah et Israël ou pendant la crise politique dans le pays.

«Notre message est faites la cuisine, pas la guerre», ajoute-t-il.