Le quartier de Soho, autrefois bouge infréquentable de l'est de Londres, s'embourgeoise à un rythme qui rivalise avec celui de Paul Cook, batteur des Sex Pistols, sur Anarchy in the UK. Le visiteur qui passe par là ne le croirait donc sans doute pas, mais c'est ici qu'est né le punk. Retour sur les lieux de naissance d'un mouvement qui marque encore l'imaginaire, 40 ans plus tard.

T-shirt, barbe de trois jours, lunettes fumées, gougounes aux pieds, Aidan McManus nous attend à l'angle d'Oxford Street et de Charing Cross Road. Derrière lui, des grues encombrent le paysage, démolissant des pans entiers de pâtés de maisons.

«C'était un endroit vibrant ici, mais regarde ce qu'ils ont fait, lance-t-il, excédé. Tout cela pour construire des condos de luxe. Quelle merde!»

Notre guide a de bonnes raisons d'être en colère. L'embourgeoisement n'a pas que des qualités. Mais comme point de départ à sa visite du Soho Punk, il n'aurait pas pu trouver mieux. Car c'est ici, dans ce quartier jadis infréquentable de Londres, que des groupes comme les Clash, les Damned et les Sex Pistols lançaient il y a 40 ans leur propre entreprise de destruction, qui bouleversa le rock et les conventions de la société anglaise.

Tout cela semble bien loin désormais. Récupéré à toutes les sauces, le punk est depuis longtemps rentré dans le rang. Le logo des Sex Pistols apparaît sur des cartes de crédit alors que le chanteur John Lydon (ex-Johnny Rotten) tourne des pubs pour des marques de margarine.

Sages hommages

Comble de l'ironie, des institutions très sérieuses, incarnation de tout ce que le punk rejetait, rendent aujourd'hui hommage à ce mouvement culturel qui fut jadis la terreur du Royaume-Uni.

C'est le cas du programme Punk London, qui présente jusqu'à la fin de l'année une série d'événements culturels (musées, théâtre, débats) pour souligner le 40e anniversaire de l'éclosion punk en Angleterre, sous l'improbable parrainage de la Ville de Londres et du gouvernement britannique.

Du lot, on signalera notamment l'exposition Punk 1976-78, qui se termine ces jours-ci à la British Library, dans un contexte qui n'a rien d'anarchique. Quelques vieux disques, fanzines, affiches, brouillons de chansons ainsi qu'un blouson de cuir ayant appartenu à Rat Scabies (The Damned) y sont exposés de façon très ordonnée, en plus de quelques écrans passant en boucle d'éloquents films d'archives.

Le résultat est un peu (trop?) sage. Mais cette expo permet à tout le moins de mesurer l'impact de la révolution punk, qui semble avoir transcendé les générations.

«Il y a quelque chose d'encore frais dans cette musique, résume Alberto, jeune Italien de 18 ans rencontré devant une vitrine de 45 tours. C'est intemporel, quoi. Comme le classique!»

Le punk réhabilité

Le punk, mouvement anti-establishment par définition, méritait-il autant d'égards? Avec l'assentiment des autorités, de surcroît?

Pour Mike Clewley, directeur du programme Punk London, la réponse est oui. «On s'est posé la question dès le départ, lance-t-il. Mais on a décidé d'aller de l'avant. Car notre but était justement que les gens s'interrogent. Le punk n'a-t-il pas toujours été à la frontière de la rébellion et du commerce?»

«À mon avis, cette célébration est d'autant plus pertinente que le contexte social de 2016 ressemble à celui de 1976, avec les jeunes qui se désintéressent de la politique et le clivage riches-pauvres qui s'agrandit.»

Tout le monde n'est manifestement pas de cet avis.

En mars, Joseph Corré, fils de Vivienne Westwood et de Malcom McLaren (respectivement styliste et gérant des Sex Pistols), s'est publiquement opposé au programme Punk London, sous prétexte que celui-ci avait été approuvé par la reine et le gouvernement. Pour protester, il a déclaré qu'il brûlerait pour 5 millions de livres (environ 8,5 millions CAN) d'objets punk tirés de sa collection personnelle, le 26 novembre prochain devant Buckingham Palace, 40 an jour pour jour après la sortie du premier 45 tours des Sex Pistols (Anarchy in the UK).

Aidan McManus, du Soho Punk Tour, n'est guère plus impressionné par cette soudaine effervescence autour du punk. «C'est de la récupération politique», tranche-t-il. 

«Quand la mairie donne son accord à quelque chose, c'est que ce projet est merdique.»

On lui fait remarquer que sa visite guidée, offerte pour 15 livres par personne, participe elle aussi à ce mouvement de récupération. Mais il hausse les épaules.

«Je fais simplement gagner du temps aux gens qui cherchent à voir ces lieux historiques», répond-il.

PHOTO FOURNIE PAR PUNK LONDON

De jeunes punks dans Kings Road, en 1983.

Les derniers bastions

Beaucoup de ces «lieux» n'en sont plus, puisqu'ils ont disparu. Mais certains, comme le 6 Denmark Street, sont toujours debout. Point fort du Soho Punk Tour, cette adresse a été sauvée in extremis du pic des démolisseurs en mars dernier, puis inscrite à la liste des bâtiments protégés par le gouvernement britannique.

Selon Mike Clewley, cette sauvegarde pourrait bien être la première d'une longue série, les autorités étant de plus en plus conscientes que le patrimoine rock de Londres ne s'arrête pas au passage clouté d'Abbey Road. «La ville a perdu le tiers de ses salles de spectacle depuis 10 ans. Et il faut veiller à ce que les autres ne disparaissent pas.»

Pour l'historien du rock Barry Cain, la reconnaissance pourrait même aller plus loin. Le Londres punk n'est peut-être pas aussi fédérateur que celui des Beatles, mais ce n'est qu'une question de temps, croit-il, avant que celui-ci soit pleinement consacré.

«Le rideau est tombé quand les Sex Pistols se sont séparés, en 1978, conclut l'auteur du livre '77 Sulphate Strip, paru en 2007. Mais ce mouvement a changé beaucoup de choses et fait maintenant partie du patrimoine britannique. Il est non seulement devenu crédible, mais honorable. Je ne serais pas surpris que John Lydon et Joe Strummer aient un jour leur plaque honorifique quelque part sur les murs de la ville...»

À voir cet automne

Débat sur la signification du punk, d'hier à demain. Le 18 novembre, au Museum of London.

Exposition Punks - Regard ethnologique sur les anonymes qui ont participé à la révolution. Du 1er octobre au 31 décembre, au Museum of London.

Joe Corré brûle son patrimoine punk personnel. Le 26 novembre, devant Buckingham Palace.

PHOTO FOURNIE PAR PUNK LONDON

Trafalgar Square, vers 1980.