La vie nocturne londonienne est plus énergisante que jamais. Depuis le début de l'été, le Club Surya, premier bar écolo au monde à s'être équipé d'une piste de danse piézoélectrique, transforme chaque soir ses clients en producteurs d'«érotricité».

Lancé par un excentrique homme d'affaires répondant au nom de Dr. Earth, l'établissement n'a rien du pub typique de Londres, sauf peut-être son bar bien garni et ses deux écrans géants. La décoration, minimaliste, est faite de vieux objets recyclés: CD, téléphones cellulaires, coupures de journaux. Les murs sont couverts de peinture recyclée et les coussins des fauteuils et tabourets sont recouverts de lin ou de vieux denim. Jusque-là, rien de très impressionnant.

 

Mais le Surya réserve quelques surprises à ceux qui descendent voir son sous-sol. Au pied des escaliers, la piste de danse, avec son logo en forme de terre et le slogan Dance to save the World écrit avec des diodes multicolores, vaut à l'établissement une attention médiatique internationale. Sous le plancher, un ingénieux dispositif recueille l'énergie générée par les pas des danseurs et la transforme en électricité qui alimente l'établissement. Le principe sous-jacent, la piézoélectricité (du grec piezein, «presser»), tire profit des propriétés de certains matériaux qui émettent une charge électrique lorsqu'on les compresse. Les briquets automatiques et les allumeurs pour barbecue, qui embrasent le butane ou le propane grâce à une petite décharge électrique créée par la compression d'un cristal, sont peut-être les applications piézoélectriques les plus connues. La trotteuse des montres au quartz est aussi mue par ce principe, découvert par Pierre Curie en 1880.

L'énergie générée par les danseurs - ou «érotricité», comme se plaît à l'appeler Dr. Earth - est-elle vraiment suffisante pour alimenter ne serait-ce que le système d'éclairage? «Nous ne savons pas vraiment, explique laconiquement Paul Edwards, directeur du Surya. Nous n'avons pas encore eu l'occasion d'évaluer précisément l'efficacité du système. Et de toute façon, ce n'est pas très important. La piste de danse piézoélectrique n'est qu'un des éléments éco-énergétiques que nous utilisons dans le bar. Si elle fournit 1% de toute l'énergie nécessaire, c'est déjà ça de gagné.»

Toilettes sans eau

Au fond du bar, les urinoirs des toilettes des hommes ont aussi leur petit côté vert: grâce à un système d'aspiration d'air, ils n'utilisent aucune eau, permettant une économie de 275 litres par jour. Une mini-serre hydroponique, où poussent des plantes vertes et un oranger nain, a également été installée au milieu du couloir étroit.

Pour limiter au maximum sa consommation énergétique, le Surya a aussi été équipé de panneaux solaires sur son toit et utilise un système d'éclairage à faible consommation. Et bonne nouvelle pour les «clubbers» londoniens: l'entrée est gratuite s'ils prouvent qu'ils sont venus en transports en commun. «Ce sont des initiatives qui, isolément, ne changent pas grand-chose à notre consommation d'énergie. Mais en les utilisant tous simultanément, ça fait une petite différence», soutient M. Edwards.

Alcool bio

Le bar, qui se veut d'abord un lieu d'information et d'éducation environnementale, sert tous ses cocktails dans des verres faits de polycarbonate biodégradable. Il a aussi essayé de vendre de l'alcool bio. Mais si quelques vins italiens et bouteilles de bière bio, dont la Freedom Organic Lager, brassée dans le comté pittoresque d'Abbots Bromley, au nord de Londres, figurent toujours sur la carte, la plupart des boissons vendues ne sont pas vertes. Car le marché de l'alcool bio est loin d'être à point, et les prix sont prohibitifs, explique M. Edwards. «Une bouteille bio coûte de 20 à 30% plus cher qu'un bouteille ordinaire. Notre clientèle n'aurait pas accepté de payer un tel supplément pour boire bio, et d'une certaine façon, ce n'est pas très grave. Il ne faut pas forcer les choses si le marché n'est pas prêt. Notre but n'est pas de convaincre 10 % des clients à être 100 % écolos, mais plutôt d'inciter 100% de la clientèle à faire 10 % d'efforts.»

Rotterdam et San Francisco

Dès son ouverture, le Surya a attiré l'attention de tous les grands médias britanniques. «Une équipe de CNN est débarquée et les journalistes de partout dans le monde ont appelé pendant des jours, raconte M. Edwards. Des gens de l'ONU sont même venus faire une formation environnementale de deux jours dans notre salle de conférence.»

Voyant que le concept plaît, Dr. Earth, Andrew Charalambous de son vrai nom, songe maintenant à l'exporter. Des activités sont notamment prévues en Israël pour tester le marché. «Nous voulons faire danser ensemble Arabes et Juifs», explique M. Edwards.

Mais le millionnaire excentrique devra faire vite, car le concept des bars écolos se propage rapidement. À Rotterdam, aux Pays-Bas, une boîte de nuit semblable avec piste de danse piézoélectrique et toilettes fonctionnant à l'eau de pluie - le Club Watt - a ouvert ses portes en septembre. À San Francisco, le Temple, bar branché écolo qui roule sa bosse depuis 2004, prévoit lui aussi l'installation d'une piste piézoélectrique dans les mois à venir.