Jadis passages obligés pour les marchands descendant à Bucarest, les khans aux allures orientales du centre historique de la capitale roumaine reprennent vie après des décennies d'abandon, grâce à d'ambitieux projets de rénovation.

Semblables aux caravansérails disséminés à travers l'Empire ottoman et au-delà, les khans de Bucarest ont fleuri aux XVIIIe et XIXe siècles dans cette ville charnière entre l'Orient et l'Occident, accueillant des voyageurs venus des provinces roumaines, mais aussi de Serbie, de Bulgarie ou encore d'Allemagne.

Lieu d'échanges, les khans ont contribué au développement de la ville car «les marchands étrangers ou roumains qui revenaient de leurs voyages ont importé des idées architecturales modernes, s'attachant à particulariser notamment les façades», explique à l'AFP l'historienne de l'art Cezara Mucenic.

Ces constructions fortifiées, comportant des enclos pour les chevaux et les bêtes de somme, des magasins au rez-de-chaussée et des chambres au premier étage, se sont petit à petit transformées en hôtels plus confortables.

Incurie des autorités 

Demeurés des repères de la ville, les khans ont cependant dû affronter pendant des décennies l'incurie des autorités et ont échappé de justesse à la folie destructrice de l'ancien dictateur communiste Nicolae Ceausescu.

C'est le cas de Hanul lui Manuc, le plus beau khan de Roumanie selon les experts.

Érigé au centre de Bucarest en 1808 par Manuc Bey, un haut dignitaire ottoman d'origine arménienne, Hanul lui Manuc a failli être rasé sur ordre de Ceausescu, lors des travaux pour la construction du gigantesque Palais du peuple, qui ont abouti dans les années 1980 à la démolition de l'un des plus beaux quartiers résidentiels de la capitale.

«L'architecte en chef de Bucarest de l'époque a eu l'inspiration de dire à Ceausescu que le khan avait accueilli les premières réunions des ouvriers communistes en 1920 et il a été épargné», se félicite son propriétaire actuel Serban Cantacuzino, descendant d'une grande famille princière roumaine, qui a récupéré le bâtiment de ses ancêtres en justice après la chute du régime communiste.

M. Cantacuzino s'est investi avec passion pour redonner sa beauté d'antan à ce joyau architectural.

«Quand j'ai lancé le chantier, je pensais qu'une couche de peinture, six mois de travaux tout au plus, suffiraient pour pouvoir rouvrir le bâtiment au public», raconte-t-il à l'AFP.

Sept ans et près de 2 millions d'euros (près de 2 960 000 $) plus tard, la rénovation n'est toujours pas achevée même si plusieurs restaurants et la cour intérieure ont été rouverts, attirant des milliers de touristes par jour.

«C'est un endroit unique, avec beaucoup d'éléments très intéressants comme ces balcons ou cette allée» constituée de pavés en bois, s'émerveille Dimitrios Rutis, un ingénieur grec de 27 ans venu avec des amis prendre des photos.

À quelques centaines de mètres de là, un passage marchand rénové, Hanul cu Tei, abrite aujourd'hui cafés et magasins d'art.

Retrouver sa grandeur d'antan 

Et un autre khan, le Hanul Gabroveni, qui doit son nom aux nombreux marchands originaires de la ville bulgare de Gabrovo qui y descendaient, reprend lui aussi des couleurs.

Il était sur le point de s'effondrer lorsque la mairie de Bucarest et le ministère de la Culture ont décidé d'une intervention d'urgence pour le sauver.

«En entrant ici, en 2012, nous avons trouvé une énorme quantité de détritus et de gravats. Les murs étaient très dégradés, plusieurs voûtes ont dû être entièrement refaites», indique à l'AFP l'un des architectes responsables du projet, Mihai Antoniu.

Passage entre deux rues marchandes, Hanul Gabroveni avait été érigé au début du XIXe siècle et reconstruit après le «grand feu» qui a ravagé Bucarest en 1847.

Durant des années, ce khan fut comme un «malade abandonné sur la table d'opération», souligne Mme Mucenic en rappelant que Ceausescu fit fermer les chantiers de restauration pour se concentrer sur la construction du nouveau centre administratif de Bucarest.

Aujourd'hui, sa réhabilitation, qui s'accompagne de la création d'un Centre culturel européen dans un bâtiment contigu, a bénéficié de sept millions d'euros de financements, dont 2,5 millions de fonds européens et des dons du gouvernement norvégien.

«Il s'agit d'un projet pionnier, d'une très grande complexité, qui a visé la création d'une nouvelle structure d'appui», même si l'inclinaison des murs, de 30 cm par rapport à la verticale, a été gardée, précise M. Antoniu.

Dans quelques mois, les monumentales portes en bois sculpté - des copies de celles d'origine perdues à jamais - seront rouvertes.

Les touristes pourront alors découvrir les magasins qui proposaient des marchandises importées de Leipzig ou d'Istanbul ainsi que les caves qui jadis abritaient tonneaux de vin et victuailles diverses.

«Hanul Gabroveni deviendra sans doute un symbole de la renaissance du centre historique de la ville», souligne M. Antoniu. Pour ce jeune architecte, la rénovation des khans permettra à Bucarest de retrouver «sa grandeur d'antan».