N'y cherchez pas la splendeur de Rome ou le romantisme de Venise. Naples, c'est un village de 1 million d'âmes dont les charmes se cachent dans les scènes bigarrées de sa vie quotidienne, imbibées d'histoire. Plongée dans la vita napolitana.

Petit matin tranquille dans le quartier Spagnoli. «Bip, bip!», préviennent les mobylettes dans les détours escarpés, pour signaler leur présence (et leur ferme intention de ne pas s'arrêter). Rien pour faire sursauter les vieux habitants. Les cafés se remplissent, mais on ne s'y attarde guère. On mange son croissant, on boit d'un trait son espresso debout, accoudé au comptoir, juste le temps de faire le plein de caféine et de potins, puis on repart subito.

Le voyageur n'y voit que du feu. La vita semble bella dans le quartier «espagnol», qui a hérité son nom de deux siècles et demi d'occupation par les cousins latins. Et pourtant. Nous sommes dans l'un des secteurs les plus déshérités de la ville, où la Camorra (la mafia napolitaine) est bien implantée.

Sang de saint

Brutal était aussi Dioclétien, dernier empereur romain à persécuter les chrétiens, sept ans avant que son successeur Constantin ne convertisse l'empire à la religion du Christ. En l'an 305, il a ordonné la décapitation de l'évêque de Bénévent, futur saint Janvier. La nuit suivante, une parente du martyr a recueilli discrètement son sang, qu'elle a placé dans deux ampoules. Dix-sept siècles plus tard, le sang du saint patron de Naples est au coeur de la plus grande célébration religieuse de la ville, trois fois par année.

Notre visite coïncide justement avec l'anniversaire du martyr de San Gennaro. Le parvis de la cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption est bondé de fidèles. À bout de bras, l'archevêque Crescenzio Sepe agite ostensiblement l'une des fioles. Quelques minutes plus tôt, le sang coagulé qui s'y trouve s'est liquéfié. Un miracle devenu la norme plus que l'exception au fil des ans. Heureusement, car la non-liquéfaction est de très mauvais augure pour la cité, selon la croyance.

À l'intérieur de la cathédrale, la piété des Napolitains ne fait aucun doute. Jeunes et moins jeunes, «pure laine» et néo-Napolitains font la file au confessionnal pour expier les péchés de la vie moderne.

Dans la via dei Tribunali, le grand axe est-ouest (decumanus maximus) hérité des Romains, le commerce semble meilleur, plus ordonné et plus légal. Le héros des étals de souvenirs est sans conteste Polichinelle, personnage loufoque de la commedia dell'arte, ce théâtre de rue italien du XVIe siècle. Puis suivent les papes et joueurs de soccer en terracotta, et les aimantins de pizza, un mets dont les Napolitains se targuent d'être les inventeurs.

Souterrains

Sous ses pavés, le Vieux-Naples actuel en cache beaucoup d'autres, bien plus anciens. C'est ce qu'on découvre en s'engouffrant dans les souterrains de la ville, le temps d'une visite guidée: 170 km de tunnels, construits à différentes époques et pour diverses raisons. Les Grecs ont creusé l'endroit pour y extraire les pierres nécessaires à la fortification de leur Neapolis («nouvelle ville»), puis les Romains ont poursuivi le travail pour en faire un aqueduc. Durant la Seconde Guerre mondiale, les souterrains, devenus dépotoirs, ont été rouverts pour servir d'abri antiaérien, après que les autorités eurent recouvert les déchets.

Piazza anarchique

La lune vient de se poser entre les deux sommets du Vésuve, qui se la coule douce depuis 1944. Au bout de la via dei Tribunali, les marginaux se retrouvent au pied de la statue du compositeur Vincenzo Bellini. Sous les effluves de marijuana et de bière ou guitare à la main, anarchistes, antifascistes et musiciens refont le monde à leur image. Sur les terrasses des restos et des bars adjacents, les trentenaires professionnels et les touristes sirotent leur vin et discutent de choses sérieuses.

À Naples, les mondes et les époques cohabitent à l'horizontale, comme à la verticale.