Déja propriétaire du Palazzo Grassi, le milliardaire français François Pinault a dévoilé mercredi à la presse son deuxième centre d'art contemporain à Venise, la Pointe de la Douane, d'anciens entrepÈts entièrement restructurés situés à l'embouchure du Grand Canal.

Le musée, espace de près de 5 000 m2, ouvrira ses portes au public samedi, à la veille de l'inauguration de la 53e Biennale d'art de Venise (7 juin-22 novembre). Posée à la proue du quartier Accademia-Zattere, face à la célèbre place Saint-Marc, la réhabilitation de la Pointe de la Douane - en mauvais état et inondable - a nécessité deux ans de travaux colossaux d'un coût de 20 millions d'euros.

«C'était un pari risqué car l'enjeu était de taille», a résumé François Pinault lors d'une conférence de presse, rendant hommage à l'architecte japonais Tadao Ando qui a su transformer «les contraintes historiques» du bâtiment en «sources d'inspiration».

Murs de briquettes rouges, pans de béton brut, grosses poutres en bois pour soutenir le toit: la promenade artistique est des plus agréables, le visiteur pouvant entre chaque oeuvre faire une pause devant les grandes baies vitrées pour admirer la lagune.

Parlant d'un «site unique» et évoquant sa «passion de l'art» - il possède environ 2 500 oeuvres - François Pinault, 72 ans, a expliqué vouloir exposer à la Pointe de la Douane et à Palazzo Grassi «des artistes confirmés et de plus jeunes générations».

Ainsi, aux cÈtés de grands noms comme Cy Twombly, Cindy Sherman et Jeff Koons, figurent des artistes moins connus du grand public, tel l'Italien Maurizio Cattelan, qui expose neuf formes humaines allongées sous des draps en marbre blanc de Carrare, vision rappelant les victimes de la mafia en Sicile.

Toujours de Cattelan, un cheval empaillé a la tête encastrée dans un mur et reste étrangement suspendu dans les airs, allégorie de la condition humaine.

Plus loin, neuf «vivariums» remplis de figurines des britanniques Jake et Dinos Chapman montrent les pires horreurs dont les hommes - et notamment les nazis - sont capables: des jardins de crânes sur des piques, des corps entassés sur plusieurs épaisseurs, des rivières rougies de sang et de membres arrachés.

Toujours aussi politique, une masse noire piquée de chauves-souris empaillées semble prête à écraser un terrain de football où une équipe de joueuses en burkas affrontent des G.I.: sombre présage signé du Chinois Huang Yong Ping, le tableau s'intitule «14 juin 2002», jour de l'élection d'Hamid Karzaï à la tête de l'Afghanistan.

Lors de la présentation à la presse, un jeune artiste français a organisé un «happening» en face de la Pointe de la Douane: suspendue par des ballons d'hélium, une grande bâche proclamait en rouge «Please François Pinault, buy my work».

«C'est une réflexion sur l'actuel système artistique, que je voulais tourner en dérision: si M. Pinault achète mon travail parce que je lui ai demandé, alors j'aurai influencé l'homme qui a le plus d'influence dans le monde de l'art», a expliqué à l'AFP Marc-Antoine Léval, 25 ans, coutumier de ce genre d'interpellations à François Pinault.

L'exposition inaugurale intitulée «Mapping the studio» - en hommage à une vidéo de l'artiste américain Bruce Nauman qui dévoile au spectateur son espace intime, son atelier - se partagera entre la Pointe de la Douane et le Palazzo Grassi et présentera un total de quelque 300 oeuvres.