On le disait jadis insalubre. C'est aujourd'hui l'un des quartiers les plus branchés de Paris. En un demi-siècle, le Marais a complètement réinventé son image, s'imposant comme un incontournable de la vie culturelle et commerciale de la capitale française.

Preuve de son inexorable embourgeoisement, le quartier, qui se situe à cheval sur les 3e et 4e arrondissements, a été déclaré «zone touristique internationale» en 2015, ce qui le place sur le même pied que Saint-Germain, les Halles et les Champs-Élysées. De grandes marques de la mode, comme Moncler et Givenchy, s'y sont installées dans la foulée, flairant la bonne affaire.

Cette tendance, amorcée depuis un bon moment, n'a pas que du bon. Les loyers augmentent, entraînant le départ des populations «indigènes», derniers témoins d'un Marais authentique et abordable. Mais certains, comme Monique Mouroux, voient la chose d'un bon oeil.

«On reproche que ça se boboïse, mais c'est quand même mieux quand on commence à restaurer, non? lance la dame de 85 ans, rencontrée dans les bureaux de l'association Paris Historique. Ça fait 60 ans que je vis ici. Les boutiques de mode, je m'en fous. Je trouve que les restaurations sont magnifiques. Les vieilles pierres n'ont pas été démolies, c'est ce qui compte!»

Chez les commerçants, on ne se plaint pas non plus. Cette «boboïsation» est plutôt bonne pour les affaires, reconnaît Charles Rabhi, président de l'Association des commerçants du coeur du Marais.

«Tous les 10 ans, je vois des changements. Il y a 20 ans, c'était un bordel. C'était vétuste. Personne ne voulait vivre ici. Maintenant, c'est le contraire. Pour les retombées économiques, c'est positif», ajoute Charles Rabhi, gérant de L'Improbable, un nouveau café-bar «hip» de la rue des Guillemites.

Plusieurs vies

Ce n'est certes pas la première fois qu'un quartier change ainsi. Mais le Marais, tel un chat, peut se vanter d'avoir eu plusieurs vies.

Au commencement était un marécage. Peu favorable à la construction, l'endroit reste sauvage pendant plusieurs siècles. Mais au Moyen Âge, des religieux commencent à assécher «le marais» pour y installer leurs établissements.

Attirée par les possibilités de nouveaux lotissements, l'aristocratie investit cette zone jusqu'ici périphérique. Charles V lance le bal en 1361. Mais c'est avec la très chic place des Vosges, inaugurée en 1612 par Louis XIII, que le quartier devient le lieu «in» de la noblesse française.

À la Révolution, les propriétaires fortunés sont chassés du quartier. Artisans et ouvriers prennent possession des hôtels particuliers abandonnés et y installent leurs échoppes. Le Marais devient alors, et pour près de deux siècles, un quartier populaire à la réputation peu enviable. Il faut dire que l'endroit ne profite pas, comme ailleurs à Paris, des travaux d'aménagement lancés par Haussmann. Pendant des siècles, avec ses pauvres gens et ses petites rues sinueuses héritées du Moyen Âge, le Marais est l'endroit qu'on évite, à l'exception d'une communauté juive ashkénaze, qui s'y établit à la fin du XIXe.

Avec les années 1960 s'amorce la revitalisation. Convoité par les promoteurs, le quartier est sauvé de justesse des pics des démolisseurs par le ministre de la Culture André Malraux, qui tranche pour la protection et la restauration de cette zone historique.

Petit à petit, les artisans quittent les lieux, cédant le pas à une nouvelle faune, professeurs, intellos ou esthètes, attirée par l'âme du quartier et ses appartements rénovés aux loyers encore abordables. Cette population est rejointe dans les années 80 par la communauté gaie, qui jouera un rôle majeur dans la remise en valeur du quartier.

Photo Jean-Christophe Laurence, La Presse

Le meilleur falafel de Paris, dit la légende. Ça doit être vrai, à en juger par les files d'attente qui se forment chaque jour à l'heure du lunch. Ouvert depuis 37 ans.

À découvrir à pied

Aujourd'hui, il ne fait aucun doute que le Marais est une des destinations les plus en vogue de la capitale française. Une réputation qui rejaillit forcément sur l'industrie du tourisme, en dépit d'une baisse notable de la fréquentation depuis les attentats de 2015.

Moins «évident» que Notre-Dame, la tour Eiffel ou les Champs-Élysées, le Marais est un quartier que l'on explore - à pied - généralement lors d'une deuxième visite à Paris, souligne Danièle Louveau-Jouan, guide-conférencière touristique depuis plus de 40 ans.

«Ce n'est pas le touriste lambda qui veut venir ici, mais celui qui veut approfondir.»

Beaucoup, ajouterons-nous, profitent des offres Airbnb qui pullulent dans le quartier.

L'arrivée des Givenchy, Gucci et Moncler pourrait marquer l'afflux d'une nouvelle génération de touristes plus fortunés et fanas de shopping chic.

Mais attention aux dommages collatéraux, prévient Danièle Louveau-Jouan: «Il y a encore une certaine authenticité, mais quand les grandes marques arrivent, c'est foutu. Ça devient artificiel. Comme Saint-Germain-des-Prés...»

L'avenir dira s'il s'agit simplement d'un autre changement de peau. Mais si le Marais est comme un chat, il lui reste peut-être encore quelques vies.

En chiffres

126 hectares: Superficie du quartier, soit 1,2 % de la superficie parisienne

30 000: Nombre de résidants

130 000: Nombre de personnes qui travaillent dans le quartier chaque jour

30 millions: Nombre de touristes qui visitent chaque année le Marais

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Source: Musée Carnavalet, chiffres tirés d'une exposition sur le quartier présentée en 2014

Photo Jean-Christophe Laurence, La Presse

De jeunes sportifs s'amusent près d'une muraille historique.