Cent kilomètres d'étals, 10 000 exposants, 2,5 millions de visiteurs: les chiffres de la braderie de Lille, qui se déroule ce week-end, donnent le tournis. Ce «carnaval du commerce» puise son origine au Moyen-âge, puis ressuscite dans le sillage de mai 1968 pour devenir depuis vingt ans un événement international.

L'origine de la braderie remonte au XIIe siècle avec la «franche foire» durant laquelle «les commerçants venus de l'extérieur ont l'autorisation exceptionnelle de vendre à Lille, dont les habitants ont le reste du temps le monopole du commerce», explique Elodie De Vreyer, dans «La braderie, une histoire lilloise». Les échanges sont «francs», c'est à dire sans taxe.

Mais le nom de braderie apparait plus tardivement, lorsqu'au XVe siècle des marchands commencent à vendre des volailles, rôtir se disant «braaden» en flamand.

Cet événement se transforma au XVIe avec la possibilité offerte aux domestiques de vendre une fois l'an les objets usagés accumulés dans les greniers de leur maître.

La braderie subsiste toujours au XIXe siècle, où elle dure alors neuf jours, désormais avec son lot de forains. Mais dans cette ville ouvrière et en partie pauvre comme le souligna Victor Hugo dans «Les caves de Lille», la braderie permet surtout au petit peuple de récupérer quelques «vieuseries» à bon compte.

«La braderie (au XIXe) est à la fois une nécessité économique, une fête et un défouloir pour une classe ouvrière miséreuse», note Mme De Vreyer. Des photos prises à la Belle époque montrent la capitale des Flandres noire de monde lors des jours de braderie, avec la mise en place de trains spéciaux. «En 1910, la presse annonce fièrement le chiffre de 200 000 visiteurs, une estimation déjà invérifiable», relève Mme De Vreyer.

Mauroy change son rayonnement

Entre le premier conflit et les années 1960, la braderie décline, ne devenant plus qu'un grand marché, alors que Lille a connu à deux reprises l'occupation allemande et son lot de destructions.

Dans le sillage de mai 1968 et de la libéralisation des moeurs, la braderie retrouve de son allant, devenant un événement plus festif, comme l'explique Jacques Richir, adjoint à la mairie.

«La braderie n'était plus très importante dans les années 1950 et elle est fortement repartie dans les années 1960/1970. Ce sont les jeunes qui lui ont redonné du dynamisme, Lille devenant une grande ville étudiante», dit-il.

Si la fréquentation a quasiment doublé depuis une quarantaine d'années, c'est aussi grâce à une décision prise en 1996 par Pierre Mauroy, l'emblématique maire socialiste de Lille, qui qualifiait la braderie «de vaste carnaval du commerce, où tout le monde joue au marchand et au chaland».

L'ancien Premier ministre a ainsi «déplacé au samedi et dimanche la braderie, qui se déroulait auparavant le dimanche et le lundi, ce deuxième jour étant férie pour les habitants de la métropole. Cela en faisait donc un événement plutôt régional et cette décision a permis aux gens de venir de loin», note M. Richir.

Et depuis une vingtaine d'années, la braderie s'est «fortement internationalisée», explique Floriane Gabriels, directrice générale adjointe du pôle animation, surnommée «Mme Braderie» à la mairie de Lille. «On retrouve des Danois, des Chinois, des Japonais et des Italiens», relève-t-elle.

Revers de la médaille: de nombreux Lillois estiment qu'à cause de cet afflux, la braderie y a laissé son âme et fuient leur ville chaque premier week-end de septembre, lorsque les rues deviennent engorgées par les «bradeux».

«L'objectif durant les années à venir est de faire de belles braderies, qui reviennent un peu plus à l'esprit d'antan, avec de la brocante, du vide-grenier et un peu moins de commerces qu'on peut retrouver sur des marchés habituels», plaide Mme Gabriels.

Car avec une population qui décuple le temps d'un week-end, passant de 220 000 habitants à 2,5 millions, la braderie reste un événement unique de par son ampleur: la «réderie» d'Amiens (vide-grenier), qui se présente comme la deuxième plus importante manifestation du genre en France, n'attire que 80 000 visiteurs selon la mairie picarde, soit trente fois moins qu'à Lille.