Le Lutetia, emblématique hôtel art déco qui a abrité les services de renseignement allemands pendant l'occupation puis les déportés de retour des camps, ferme ses portes ce lundi pour trois ans de travaux afin de conserver sa place sur le marché très concurrentiel des palaces parisiens.

Rendez-vous du monde littéraire, le bâtiment de sept étages construit en 1910 près de Saint-Germain-des-Prés, sur la rive gauche de la Seine, où se trouvaient les maisons d'éditions de Paris, va subir une cure de jouvence sous la direction de l'architecte Jean-Michel Wilmotte. Ses collections, dont une centaine d'oeuvres d'art réalisées in situ et 8000 bouteilles de vins et de spiritueux, doivent êtres vendues aux enchères fin mai.

La fermeture s'est faite dans la douleur, le personnel contestant le plan de sauvegarde de l'emploi proposé par la direction aux 211 salariés.

Le groupe israélien Alrov qui l'a racheté en 2010 suit l'exemple de l'hôtel de Crillon, du Ritz et du Plaza Athénée qui ont entrepris de longs travaux de rénovation pour résister à la concurrence des chaînes asiatiques qui ouvrent des hôtels de grand luxe dans Paris.

«Le Lutetia a toujours été depuis le début du siècle un phare de la rive gauche et un lieu de mémoire par excellence pour les Français», a déclaré à l'AFP l'écrivain Pierre Assouline, qui lui a consacré un roman.

Le service de contre-espionnage de l'armée allemande, l'Abwehr, en fit son quartier général dès l'occupation de Paris en juin 1040, rappelle-t-il, «et c'est surtout le lieu où les déportés français sont rentrés», de juin à septembre 1945.

«En principe, ils avaient droit à 48 heures de séjour. Mais bien souvent, ils restaient plus longtemps. Aussi bizarre que cela puisse paraître, tous n'avaient pas hâte de rentrer chez eux», a raconté en 2004 une volontaire de ce centre d'accueil, Madeleine Thibault, dans le bulletin de l'Amicale des déportés. «Non qu'ils n'en éprouvaient pas l'envie, mais les conditions de vie avaient changé et, tant qu'ils étaient au Lutetia, ils étaient ensemble, en somme en pays de connaissance».

- Hôtel des écrivains -

«Pour un certain nombre de gens marqués par la guerre, c'est un endroit où ils vont ou, au contraire, où ils ne vont pas», a poursuivi Pierre Assouline. «Ces derniers sont pour la plupart des gens qui ont attendu quelqu'un au Lutetia, un père, un frère, qui n'est jamais rentré».

«J'en connais même qui font un détour pour ne pas passer devant les marches. J'en connais d'autres qui fêtent leur retour de déportation au Lutetia, parce que c'est le lieu de leur retour à la vie».

Le Lutetia était avant guerre l'hôtel des écrivains, parce que c'était le seul établissement de luxe sur la rive gauche. James Joyce, Antoine de Saint-Exupéry, Roger Martin du Gard y ont séjourné, «André Gide s'y installait quand il voulait avoir la paix».

«Après la guerre, dit-il, c'était un peu différent, parce que les écrivains avaient moins les moyens d'habiter un grand hôtel mais c'est resté l'hôtel littéraire par excellence parce que le bar du Lutetia n'a jamais cessé, jusqu'à samedi soir, d'être un lieu de rendez-vous des écrivains et des éditeurs».

Le Lutetia continue à marquer la grande et la petite histoire.

À en croire le site de l'hôtel, le général de Gaulle y descendit pour sa nuit de noces en 1921.

En novembre dernier, un couple de 86 ans s'y est suicidé après y avoir passé sa dernière nuit. Etendus sur un lit, ils avaient, selon la police, un sac plastique sur la tête et se tenaient la main.