Squelettes aux crânes déformés, moulages plus vrais que nature, foetus et organes soigneusement conservés: Dupuytren, l'un des musées les plus singuliers de Paris, dessine une histoire de la médecine à travers les pathologies anatomiques.

Chaque après-midi, Patrick Conan ouvre aux visiteurs cette salle aux quelque 6000 pièces réparties sur des étagères, souvent dans des récipients en verre. «C'est un patrimoine mondial», décrit avec passion le volubile responsable de cette rare collection.

La pièce maîtresse: le cerveau de monsieur Le Borgne surnommé «Tan» car il ne cessait de répéter ce mot et qui permit au médecin Paul Broca de décrire l'aphasie. «On vient du monde entier pour le voir», assure M. Conan. L'organe y est conservé dans un liquide dont les laborantins avaient le secret -»Le formol est interdit dans les musées».

Parmi les autres curiosités, le squelette et la statue en cire de «Pipine», un homme aux pieds et aux mains reliés au tronc. Il était atteint de phocomélie, une malformation physique qu'il exhibait lors de foires.

Dans un bocal est aussi conservé un membre atteint de la maladie de Recklinghausen, immortalisée sur grand écran par le personnage d'Elephant Man. «La question des difformités humaines, ça a passionné le XIXe siècle», commente M. Conan.

La plus ancienne pièce est le squelette rabougri, conservé sous verre, d'une femme qui a donné son corps à la science en 1752. Elle souffrait d'ostéomalacie, une décalcification osseuse. La pièce la plus récente a rejoint les rangs du musée dans les années 1920.

Créé en 1835 grâce au legs de Guillaume Dupuytren, chirurgien-chef à Paris, ce musée a d'abord été destiné aux étudiants et enseignants en médecine avant d'élargir son public.

Âmes sensibles s'abstenir

Professeure de lettres au Texas, Melissa Bailar, 37 ans, est venue pour les cires réalisées sur les malades. Elle cherche à «comprendre la fascination qu'on retrouve dans les romans du XIXe» et s'avoue surprise par la façon «très réaliste de reproduire les visages, avec les cils, les sourcils».

Ces moulages furent notamment réalisés par Jules Baretta, un fabricant de fruits en carton pâte devenu spécialiste de cette technique qui permettait aux étudiants d'observer les lésions reproduites dans leurs moindres détails. Sont par exemple exposées les reproductions de visages d'enfants opérés de becs de lièvre au XVIIIe.

Des étiquettes apposées sur chaque pièce décrivent les pathologies d'une écriture penchée, à l'encre un peu passée. «Le blessé a survécu deux jours», est-il ainsi précisé sur un crâne de 1807, traversé d'avant en arrière par une baguette de fusil.

Les étudiants en médecine, mais aussi aux Beaux-Arts sont nombreux à visiter ce musée déconseillé aux personnes sensibles. «Je sais que je vais découvrir des choses assez horribles plus tard, donc je voulais me préparer un peu», explique Nathan, étudiant en médecine de 19 ans à Grenoble.

Mais on vient aussi pour voir des maladies «en vrai».

«Je montre aux gens un infarctus du myocarde, et je leur explique qu'il y en a d'autres: infarctus du cerveau, de l'intestin», explique le pédagogue responsable de la collection. D'anciens malades veulent voir de près la pathologie qui les a touchés: «une dame voulait voir un kyste de l'ovaire, un homme un cancer du testicule». Pour M. Conan, «c'est une saine curiosité».

PHOTO MARTIN BUREAU, AFP