La période trouble de l'Occupation n'a pas épargné la vie musicale, avec ses francs collaborateurs comme Serge Lifar à l'Opéra de Paris, ses compositeurs exilés comme Darius Milhaud et ses résistants: la Cité de la musique explore cette histoire mal connue avec un cycle du 12 au 18 mai.

«S'il y a eu des drames, avec des engagements très contrastés, il y surtout eu beaucoup de zones grisées», estime Emmanuel Hondré, directeur de la production à la Cité de la musique.

«Beaucoup de musiciens sont restés dans l'entre-deux, ont eu quelquefois une sorte de résistance passive, parfois sont passés à une forme de coopération plus conciliante, à la différence de l'Allemagne, où les contrastes étaient beaucoup plus violents», raconte-t-il.

Ainsi, le cas de Francis Poulenc «est difficile à cerner.» Poulenc participe au comité «Cortot» créé par le grand pianiste Alfred Cortot devenu conseiller technique du gouvernement Pétain et chargé de la représentation et de la défense des professions musicales. Mais il compose aussi en 1943,  la cantate «Figure humaine», qui est un hymne à la liberté, sur les textes de Paul Eluard. Entre les deux, il compose des chansons villageoises. «C'est l'entre-deux, on peut dire que ça fleure bon le Travail, Famille, Patrie, comme on peut dire qu'il s'est abstrait des enjeux politiques de son temps».

Le compositeur André Jolivet, marié à une femme juive, est nommé à la Comédie française en 1941 et compose pour le Français pendant toute l'occupation. «Sa fille pense que c'était une manière de protéger sa femme», raconte M. Hondré.

La propagande nazie est de manière générale «plus subtile» en France que dans les pays de langue allemande, relève-t-il.

Pas de «dictionnaire des musiciens juifs» bannissant leurs oeuvres, comme ce fut le cas outre-Rhin. Mais les musiciens et interprètes juifs sont écartés de leurs positions dans les orchestres, les conservatoires, l'Opéra de Paris.

«Les Allemands laissent une activité contrôlée, sous censure, où Vichy est chargé de mettre en place un art officiel.» C'est l'époque où sont lancées les «Jeunesses musicales» (1942).

Chansons à la TSF

La culture allemande est mise en valeur, mais «sans être importune», préconise un document de la «Propagandastaffel», service chargé du contrôle de la vie culturelle française.

«Les soirées organisées à l'Institut allemand n'étaient pas des soirées grandioses avec choeurs, opéras de Wagner et grands chefs illustres comme celles organisées en Allemagne, c'étaient de petites soirées de la bonne société parisienne qui venait écouter des oeuvres innocentes: Haydn, Mozart, Beethoven ... « explique Emmanuel Hondré.

Le premier concert du cycle, le dimanche 12 mai, reconstitue la soirée du 24 mars 1942 donnée par le Quatuor Peter à l'Institut allemand de Paris. Un programme très «classique» (Haydn, Beethoven, Reger), mais qui a suscité un courrier furieux adressé à la Cité de la musique. «Le rédacteur nous accuse de recréer des soirées de propagande nazie, ce qui n'est évidemment pas notre objectif. Il s'agit de témoigner d'une époque. Ça nous paraissait intéressant de montrer oeuvre par oeuvre ce que pouvait être la finesse de la propagande nazie en France» explique le directeur de la production.

Le 14 mai, le baryton-basse Vincent Le Texier chantera des «chants officiels» dont un «hymne au Maréchal» du compositeur André Gailhard mais aussi les chants des résistants retranscrits par Paul Arma dans le maquis.

Les chansons de Céline, antisémite notoire, font l'objet d'une soirée le 16 mai. Le 13, le «Quatuor pour la fin du Temps» écrit par Messiaen en 1941 au Stalag et joué par ses codétenus sera donné avec d'autres oeuvres nées en temps de guerre.

Le spectacle «On chantait quand même» restituera le 18 mai l'ambiance de l'époque où les Français naviguaient d'une radio à l'autre dans un chuintement.

En contrepoint, un colloque sur deux jours (13 et 14 mai) explorera des thèmes comme «Wagner au Palais Garnier» ou les itinéraires de Poulenc et Honegger.

«La musique pendant l'occupation» www.citédelamusique.fr