Joana, venues tout exprès de l'Espagne voisine pour se plonger dans des bains naturels d'eaux chaudes proches du pic du Canigou, ignorent qu'il a fallu 130 siècles à cette eau pour jaillir de terre.

En cette période de trêve hivernale, les vacanciers sont nombreux à rechercher les sources d'eaux chaudes sulfureuses cachées dans la montagne afin, selon les termes d'Aitana, une enseignante de 31 ans de Gérone, «de se prendre un petit bain en prise directe avec la nature».

Des volutes de vapeur soufrée tourbillonnent au-dessus de la source. L'eau tombe en cascade dans plusieurs vasques naturelles creusées à flanc de colline. La situation géographique de cette source, comme celle de la dizaine d'autres sources sauvages de la région, est en principe tue par les connaisseurs désireux de les préserver de l'affluence. Les amateurs y défilent quand même nombreux en cette journée d'hiver.

Peu savent cependant que l'eau dans laquelle ils se baignent est initialement tombée sur le massif sous forme de pluie ou de neige à l'âge de pierre.

Ces eaux, qui jaillissent de terre à une température maximum de 75,7 degrés Celsius, sont en effet «vieilles de 12 000 à 13 000 ans en moyenne», explique à l'AFP le professeur Henri Salvayre, hydrogéologue, auteur du «Livre des eaux souterraines des Pyrénées catalanes».

La pluie s'infiltre très lentement dans le massif, jusqu'à cinq kilomètres de profondeur, où la température est d'environ 130 degrés. La chaleur est due pour l'essentiel aux frictions dans l'écorce terrestre, poursuit Henri Salvayre. Puis, chargée en soufre, en gaz et en minéraux, l'eau «remonte en quelques heures à la surface».

D'après le professeur Salvayre, les Pyrénées-Orientales sont le département «où l'on trouve le plus d'eaux thermales», avec plus de 50 griffons thermaux (points de sortie des eaux) situés dans les vallées de la Têt, du Tech et de l'Agly, autant de «coupures comme au sabre» traversant le département d'ouest en est. «Il s'agit d'une énorme richesse naturelle qui est ainsi mise à disposition», ajoute M Salvayre.

Et le public ne s'y trompe pas. De retour d'une journée de ski, Christophe et James, deux militaires de la Légion étrangère d'origine polonaise sont venus en famille après une journée de ski se plonger dans un bassin d'eau chaude, d'où ils jouissent d'une vue spectaculaire sur un bout des Pyrénées. «C'est très agréable, parfait pour se détendre les muscles», dit Christophe.

La fréquentation des sources sauvages du département reste anecdotique par rapport à celle des bains exploités commercialement, comme ceux de Saint-Thomas et Dorres, qui reçoivent respectivement 100 000 et 60 000 visiteurs annuels.

«Le tourisme des sources sauvages, c'est epsilon», dit un responsable du comité départemental du tourisme sous couvert de l'anonymat. «Le rapport est le même que celui du camping sauvage avec le camping classique, c'est sympa mais infiniment plus faible».



Il n'empêche que, de manière générale, les sources, réputées avoir des propriétés cicatrisantes et adoucissantes, bénéficient d'un »effet de mode». Cela «correspond à l'époque», poursuit le responsable. «Cela ne demande pas trop d'efforts» et cela participe de la «tendance des gens à s'occuper de plus en plus de leur corps». Et puis «c'est plus original de raconter qu'on s'est baigné par moins 10 degrés que de dire qu'on a fait trois bosses au ski».