Aux portes de Saint-Paul-de-Vence, l'auberge La colombe d'Or perpétue depuis 1920 un art de vivre typiquement provençal.

Créée et gérée par la famille Roux, l'auberge a toujours été un rendez-vous des artistes. Les peintres d'abord - Picasso, Chagall, Braque, Dufy, puis Calder, César et plusieurs autres - y échangeaient des toiles contre des séjours et des repas. Les poètes ont suivi, puis les comédiens.

Guidé par Jacques Prévert, Yves Montant y a rencontré Simone Signoret et c'est là qu'ils ont célébré leur banquet de noce avant d'y faire de longs séjours. Serge Reggiani, Lino Ventura, Orson Welles et plusieurs autres ont adopté à leur tour La colombe d'Or et, encore aujourd'hui, on peut croiser des visages connus à la terrasse ou au bar de l'auberge.

Le restaurant, dont les salles forment un incroyable musée de l'art du XXe siècle, a souvent servi de décor pour le cinéma et les touristes sont évidemment nombreux à tenter le pèlerinage. Il n'est toutefois pas facile d'obtenir une réservation, surtout l'été, quand le «gratin» parisien envahit la Côte d'Azur.

Curieusement, La colombe d'Or n'a pas vraiment la cote auprès des critiques gastronomiques et c'est avec un brin d'appréhension que nous avons dîné à l'auberge il y a quelques semaines.

Disons tout de suite que l'endroit est magique. Dès qu'on franchit le portail qui mène à la terrasse et qu'on découvre cette cour décorée d'une céramique de Léger ou d'une sculpture de Calder, on se sent privilégié. Et le charme est décuplé quand on arrive à l'intérieur et qu'on découvre les murs décorés d'oeuvres d'artistes célèbres.

Le hasard nous a permis d'avoir une table dans la grande salle du fond, juste à côté du fameux foyer en stuc blanc conçu par l'architecte Jacques Couëlle, entre un Calder et un Buffet.

La première partie du pèlerinage n'aurait pu être mieux réussie.

Un menu d'une autre époque

Conduits à notre table par l'héritier de la famille Roux, nous avons découvert le service un peu brouillon, mais très efficace du restaurant. Pris en charge par un aimable trio - un vétéran, un senior et un junior -, nous avons parcouru l'étonnant menu conçu comme une oeuvre d'art avec des plats d'une autre époque.

Pour peu, on croirait lire le menu que Montant et Signoret ont connu! Fricassée de volaille aux morilles, pièce de boeuf à la façon du berger des Causses, turbot maraîchère, civet de lapin du facteur... autant de classiques de la cuisine traditionnelle française qui ne surprendront évidemment personne.

On est loin ici de la gastronomie moléculaire à la mode, mais pour peu qu'on soit prêt à jouer le jeu, un repas à La colombe d'Or devient un deuxième pèlerinage.

En entrée, les Grands hors-d'oeuvre ont rapidement donné le ton. Les serveurs nous ont présenté un plateau roulant contenant une bonne douzaine de ramequins avec des hors-d'oeuvre classiques: sardines, crudités, salades de riz et de lentilles, charcuteries, poissons fumés et marinés... En un clin d'oeil, la table débordait et on en a eu pour un bon moment avant de tout goûter.

Nous avions opté pour la fricassée, la pièce de boeuf et une «portion enfant» du carré d'agneau. Les portions étaient très généreuses, les accompagnements copieux, les cuissons à point. En mangeant, nous ne pouvions nous empêcher de penser aux repas de notre enfance, sauf notre fille, bien sûr, trop jeune pour la nostalgie, qui dévorait ses côtelettes d'agneau avec un bel appétit.

Pour elle, comme pour nous, la magie de La colombe d'Or a opéré à fond. Redécouvrir ainsi la richesse d'une époque avec ses plus grands artistes, et aussi sa cuisine traditionnelle, est un double bonheur et c'est à regret que nous avons quitté cette auberge mythique.

La colombe d'Or, Saint-Paul-de-Vence, www.la-colombe-dor.com. Un repas pour deux avec vin pour environ 150$ à 200$.