Suites désertées, revenus en chute libre, désaffection de la riche clientèle du Moyen-Orient: la crise a fait irruption dans l'univers feutré des hôtels de luxe et palaces, après une longue période faste.

«La chute est brutale, après six ans de bons résultats», a confirmé à l'AFP Jean-Paul Lafay, président du Club des dirigeants des grands hôtels de Paris. «La crise s'est brusquement aggravée en janvier, c'est pire qu'après les attentats du 11 septembre 2001».

Les recettes du cercle très fermé des palaces parisiens (Ritz, Bristol, Crillon, Meurice, Plaza-Athénée, George V, Fouquet's Barrière) ont plongé en février, avec des baisses allant de 30 à 60 %.

Les revenus des hôtels 4 étoiles et 4 étoiles luxe de la capitale se sont également effondrés en février (-15 à -30 %). Ces 75 hôtels (y compris les sept palaces) ont engendré l'an dernier un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros.

Les palaces souffrent de la frilosité des princes saoudiens, millionnaires russes et industriels brésiliens, clients habituels des suites et appartements. «Actuellement, nous vendons surtout des chambres, d'où le recul des recettes qui n'est pas lié à une baisse des tarifs», explique M. Lafay.

L'hôtellerie de luxe a commencé à être rattrapée par la crise dès septembre 2008, mais «la baisse s'est accélérée en début d'année», commente Georges Panayotis, président du cabinet d'études MKG. Il prévoit «deux années difficiles».

Avant la crise, le nombre de millionnaires explosait en Inde, en Chine, au Brésil ou encore en Russie et un potentiel de 12 millions de clients était pronostiqué pour les palaces dans le monde à l'horizon 2011. Des prévisions qui s'avèrent un brin optimistes à l'heure actuelle.

Alors que les palaces se livraient à une course à la suite la plus spacieuse, l'heure est désormais à la chasse aux coûts. Plusieurs projets de rénovation ou d'extension ont été reportés selon les professionnels, comme celui du Ritz, du Crillon (en attente d'un acquéreur) ou du Carlton à Cannes.

«Compte tenu de la situation économique», les trois hôtels de luxe du groupe Lucien Barrière à Deauville (Normandy, Royal, Hôtel du Golf), ont «retardé d'un an des travaux de rénovation», témoigne leur directeur général, Luc Jourquin.

Ces projets (développement des spas, création de suites) portaient sur «quelques millions d'euros». Les recettes des trois fleurons de Barrière sont en baisse de 10 % depuis le début de leur exercice fiscal en novembre.

Leur taux d'occupation a baissé cet hiver à 59 %, contre 68 % l'an dernier. Chute de la livre oblige, les touristes anglais sont plus réticents à traverser la Manche, ce qui prive les golfs de Deauville d'une clientèle assidue.

Autre casse-tête, les entreprises serrent leurs budgets: «des séminaires dans des hôtels 4 étoiles passent pour ne pas être politiquement corrects au moment où l'on demande aux sociétés de faire des économies», constate Luc Jourquin.

«Il y a une barrière psychologique. Nos clients continuent à avoir de l'argent, mais ils ne veulent pas s'afficher dans des hôtels de luxe en temps de crise», confirme Gebhard Rainer, directeur de Hyatt pour l'Europe, l'Afrique et le Moyen Orient.

Moins pessimiste, Didier le Calvez, ancien directeur général du George V, estime que «le marché des palaces parisiens va rebondir». Pour lui, «il y a encore de la place pour de nouveaux arrivants», comme Shangri-La (fin 2009) et Mandarin Oriental (2011), deux groupes basés à Hong Kong.