Misérables et abandonnés, ils s'accrochent à ce coin de terre, dans le nord de l'Albanie, à la recherche désespérée de l'or qu'auraient laissé les Turcs dans la citadelle de Drisht, convaincus qu'un trésor se cache sous ses ruines.

«La légende dit qu'ils ont tout caché ici», finit par confier Dyl Buhaj, un ancien du village.

Celui-ci n'est constitué que de quelques masures désolées où résident encore une dizaine de familles. Tous ces gens vivent dans une pauvreté extrême, véritables oubliés de la transition que connaît l'Albanie depuis la chute du régime communiste, au début des années 90.

Leur seule richesse est un maigre bétail. La terre est trop aride pour être cultivée.

Dans sa vieille maison, Dyl exhume d'une cachette des plans anciens et des manuscrits jaunis. Il en est convaincu: les Turcs ont laissé un trésor ici, dans cette ancienne citadelle bâtie par les Byzantins, en quittant le pays lors de son accession à l'indépendance, en 1912.

C'est l'espoir de le retrouver «qui nous retient à cette terre, en dépit de notre misère extrême», poursuit Dyl.

«Hommes, femmes, enfants, nous sommes tous à la recherche d'or», renchérit sa femme, Ismete.

Et les habitants de Drisht creusent partout, y compris sous les murs de la citadelle qui risquent à chaque instant de s'écrouler, au mépris de la loi interdisant de telles fouilles sur un site archéologique. Des tombes ont même été profanées, à la recherche du collier ou de la bague que les femmes apportaient dans la mort, conformément à la tradition.

Les habitants n'aiment guère parler et évoquent de confuses histoires de malédiction qui aurait frappé certains chercheurs d'or.

L'anthropologue Aferdita Onuzi explique cette quête à Drisht par l'excitation générée par les fouilles antérieures. «Cela n'a fait que stimuler les légendes sur l'or que l'armée turque aurait caché en quittant l'Albanie.»

Une quête à l'échelle du pays

Cette recherche de trésors enfouis et oubliés est répandue dans plusieurs régions d'Albanie.

Le sociologue Gent Celi explique: «De riches familles albanaises, des commerçants ou de grands propriétaires fonciers, mais pas seulement eux, ont caché de la monnaie en or et des lingots dans des jardins, dans les murs des maisons, sous les arbres» lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi à l'arrivée au pouvoir des communistes, en 1945.

«Par crainte des persécutions des communistes, beaucoup sont morts sans confier à leurs proches où ils avaient caché le trésor familial», ajoute-t-il.

Lui-même raconte comment il a retrouvé, en 1985, trois sacs de monnaie, comprenant plusieurs pièces en or, lors de la reconstruction de sa maison, à Elbasan.

À la chute du régime communiste, de nombreuses familles ont entrepris de retrouver les biens enterrés ou cachés par leurs aînés.

Le phénomène a été particulièrement important dans certains centres urbains où vivaient autrefois des familles aisées.

«On sait que beaucoup de familles cherchent des trésors familiaux. Certaines en ont trouvé, mais personne n'en parle», souligne Gent Celi.