Des tentes se dressent le long du rivage à Gremiatchinsk, sur un sol marécageux parsemé de bouses de vaches, de crottes de chèvres, d'emballages en papier et de boîtes de bière vides, mais avec une vue imprenable sur le majestueux Baïkal et les montagnes alentour.

Dans cette partie orientale d'un lac qui fait davantage songer à une "mer", ainsi que le surnomme la population locale, voire à un océan quand ses flots se déchaînent, le tourisme demeure largement sauvage, loin du confort et des foules des stations balnéaires à la mode qu'aiment désormais à fréquenter les Russes.

"J'en ai assez d'attendre. Ca fait une demi-heure que nous avons demandé du thé, la serveuse nous a oubliés", tempête au petit-déjeuner une mère de famille, excédée par le laisser-aller régnant dans cette aile de la "base" de repos sise à une des extrémités de la plage, "l'Adrénaline", la bien-nommée vu les circonstances.

"On ne s'attendait pas à de telles conditions d'hébergement", confie cette jeune femme originaire de la région de l'Amour, dans l'Extrême-Orient russe, désignant les rangées de chambres lilliputiennes qu'occupent trois lits et une armoire, et, au fond d'une étroite cour, des sanitaires la plupart du temps dénués d'eau chaude... et de propreté.

Au point que certains leur préfèrent le Baïkal, à la température plus clémente, pour leurs ablutions.

"Mais ce n'est pas grave", finit par conclure cette touriste, philosophe comme l'ensemble des vacanciers venus en connaissance de cause dans ce coin perdu et infesté de moustiques, à cinq heures de route, véritable piste poussiéreuse sur des tronçons entiers, d'Oulan-Oude, la capitale de la république russe de Bouriatie.

Ce qui fait d'ailleurs lâcher, dans un profond soupir, à un Moscovite qu'"il est plus facile d'aller aux Maldives" qu'à Gremiatchinsk à partir de la capitale russe...

A l'écart, une vieille Bouriate prie, mains jointes, puis en effectuant de complexes mouvements issus de rites chamanistes, devant les eaux sombres du lac, à proximité d'une impressionnante croix orthodoxe en bois qui domine des cabanons en métal rouillé couverts de graffitis et un ponton à moitié effondré.

Des bouddhistes, très nombreux dans la région, ont formé un camp de tentes : ils sont présents pour méditer, au milieu des espaces presque vierges les entourant. Face à eux, l'île d'Okhlon, la plus vaste du Baïkal, derrière eux, les forêts sans fin de connifères et de bouleaux.

Et même le village de Gremiatchinsk, alignements d'isbas le long d'allées en terre, où animaux de la ferme et autres chiens errants déambulent nonchalamment et où le silence est complet à la tombée de la nuit, est en osmose avec ce cadre idyllique.

Mais pour combien de temps encore ?

Car à Oulan-Oude, les autorités ne parlent que développement économique dans une république dont la population souffre du chômage, misant, d'une part, sur les colossales richesses minières dont regorge le sous-sol et, d'autre part, sur le tourisme, qui deviendrait du coup bien moins confidentiel.

Le tout accompagné de promesses publiques qu'aucune des mesures envisagées ne viendrait mettre en péril l'écosystème du Baïkal, "la merveille de la Russie", comme le proclament les panneaux en bois disséminés ici et là, inscrit en 1996 au patrimoine mondial de l'Unesco et actuellement fortement protégé.