«On jouait à cache-cache ici quand on était enfant», lance Maria José Lopez de Heredia en déambulant entre les milliers de tonneaux en chêne entreposés dans les couloirs sombres de la «bodega» fondée par son arrière-grand-père, l'un des vignobles les plus renommés de La Rioja.

Elle tient avec son frère et sa soeur, dans la petite ville de Haro, l'une des plus anciennes caves encore familiales de cette célèbre région vinicole du nord de l'Espagne: R. Lopez de Heredia Viña Tondonia.

Poussant une porte en métal noir donnant sur une salle où vivent en paix, sur d'épaisses toiles, les araignées chargées de protéger les bouchons de bouteilles parfois centenaires des attaques de parasites, ou désignant les immenses foudres en bois, cette viticultrice de 46 ans se dit ici «chez elle».

Mais désormais, en plus des professionnels qui s'affairent à produire 400 000 bouteilles par an, elle croise dans ce labyrinthe souterrain quelque 22 000 visiteurs chaque année.

Petite région située loin des plages qui attirent des millions de touristes, La Rioja parie depuis dix ans, pour séduire, sur sa tradition vinicole.

«C'est formidable de découvrir un endroit comme celui-ci», s'enthousiasme Bill Sherman, amateur de vin de 72 ans originaire d'Atlanta, aux États-Unis, en dégustant un verre de Viña Tondonia dans la boutique de la «bodega»: un espace vitré à la silhouette de bouteille signé par l'architecte irako-britannique de renom Zaha Hadid.

Joyaux architecturaux

Dévalant les pentes de la Cordillère cantabrique ou sur les rives de l'Ebre, comme ici à Haro, les vignobles de La Rioja ont vu éclore avant la crise, dans les années 2000, des joyaux architecturaux signés par les plus grands noms.

Lançant ses reflets métallisés multicolores au coeur du village d'Elciego, le cinq étoiles «Marqués de Riscal» en est l'emblème le plus spectaculaire.

Imaginée par l'architecte américain Frank Gehry, qui a créé aussi le musée Guggenheim de Bilbao, sa curieuse silhouette abrite 43 chambres de luxe pour des hôtes en majorité espagnols et américains. Sa construction, pour un budget tenu secret, a apporté au vignoble Marqués de Riscal une immense renommée.

Avant sa construction, la «bodega» fondée en 1860, qui vend 5,5 millions de bouteilles par an, dont 70% à l'exportation, recevait quelque 2000 visiteurs par an. Aujourd'hui, ils sont près de 70 000.

À moins de 10 kilomètres de là, la toiture métallisée, tout en courbes, de la cave Ysios se détache sur l'horizon de la cordillère. Au contraire de ses confrères centenaires, ce vignoble, qui appartient au groupe français Pernod-Ricard, a été créé en même temps que le bâtiment à la façade en bois signé par l'architecte espagnol Santiago Calatrava, inauguré en 2001.

«La viticulture avant tout»

Minutieusement disposés derrière une paroi vitrée, les tonneaux y ont une allure d'oeuvre d'art. Mais «l'architecture n'est que l'emballage, notre vin passe avant tout», affirme sa responsable de la communication, Marta Gomez.

Les «bodegas» signées par de grands architectes ont donné à La Rioja «une grande visibilité», remarque le ministre régional du Tourisme, Gonzalo Capellan.

«Le tourisme du vin est très apprécié» par les Britanniques, les Allemands et les Américains, note-t-il.

«Nous exportons chaque année 150 millions de bouteilles vers ces marchés: ils veulent nous connaître, voir où est née cette bouteille», ajoute-t-il, espérant que la région gagnera encore en renommée avec la candidature présentée auprès de l'UNESCO pour que le «Paysage du vin de la Rioja» entre au Patrimoine immatériel de l'humanité.

«C'est une ressource naturelle que nous partagions seulement entre nous. Il a fallu la transformer en produit touristique», dit-il. Aujourd'hui, 80 «bodegas» ouvrent leurs portes aux visiteurs contre une poignée il y a dix ans.

Cette évolution n'est pas toujours aisée, remarque Ramon Estalella, secrétaire général de la Confédération espagnole des hôtels et logements touristiques.

«On a parfois construit de très beaux hôtels, charmants, mais trop petits pour que l'investissement soit rentable. Il serait judicieux de faire appel à plus de professionnels du secteur touristique» pour développer le tourisme du vin, analyse-t-il.

«Nous sommes formés pour être viticulteurs, nous ne sommes pas une entreprise touristique. Nous n'en sommes qu'à nos débuts», reconnaît Maria José Lopez de Heredia.

Dans sa «bodega» comme chez Marqués de Riscal et Ysios, les visites prennent une importance croissante. Mais, assure-t-elle, le tourisme du vin «ne supplantera jamais la viticulture».