Vous n'arrivez pas à obtenir une réservation chez elBulli? Qu'à cela ne tienne.   La Catalogne se déguste bien au-delà de la très réputée maison de Cala Montjoi où il est pratiquement impossible d'obtenir une table. La région autonome espagnole compte en effet plusieurs autres étoilés Michelin où l'on peut s'offrir des expériences totalement spectaculaires de même que plusieurs restaurants accessibles imprégnés, à leur façon, de l'esprit elBulli. Avec ou sans le chef Ferran Adrià, la Catalogne demeure une destination à déguster.

«Ce n'est pas déjà fermé?»

«Comment, c'est encore ouvert?»

«Ça sert à quoi d'aller là si personne ne peut faire une réservation?»

Combien de fois ai-je entendu ces questions avant de partir, à la mi-septembre, manger au célèbre restaurant elBulli, à Roses, en Catalogne.

Il faut dire qu'au printemps dernier, quand son chef Ferran Adrià a annoncé que le restaurant fermait ses portes et deviendrait un autre type de lieu de diffusion de créativité culinaire, la nouvelle a fait rapidement le tour du monde et frappé les gastronomes. De rêve fou à cause du nombre délirant de demandes de réservations - 3 millions de requêtes chaque année pour 8000 places - l'idée d'aller au restaurant venait de devenir, tout simplement, impossible.

Soudainement aussi, l'idée d'aller faire un voyage en Catalogne venait de devenir moins intéressante.

Détrompez-vous.

Photo: Marie-Claude Lortie, La Presse

Salade d'algues chez Dos Palillos.

Il y a toute une vie gastronomique catalane au-delà d'elBulli. Accessible. Souvent abordable. Et d'une richesse alimentée par le rayonnement de la table mythique.

Car Ferran Adrià a mis la barre haut pour tout le monde. Et il a formé et influencé des dizaines de cuisiniers qui travaillent maintenant un peu partout dans cette communauté autonome espagnole.

«La leçon d'elBulli, explique le chef lui-même, en entrevue à La Presse, c'est la liberté et la créativité.» Et bien des toqués l'ont écouté.

Où aller manger, donc, si on ne va pas à Cala Montjoi, la petite baie de la Costa Brava, à une heure et demie environ de voiture au nord de la capitale catalane, où est niché l'adresse légendaire?

Arrêt à Girone

Si on veut s'offrir un très grand repas, dans un restaurant trois étoiles Michelin - le maximum - dans un lieu moderne et lumineux, où le service est impeccable, on va au Celler de Can Roca, à Girone, où travaillent les trois frères Roca: Joan (chef des plats salés), Josep (sommelier) et Jordi (chef des plats sucrés).

Au Celler aussi on est dans l'inventivité débridée, mais tout en restant dans le super délicieux.

Olives confites servies accrochées sur un olivier bonsaï, cocktail bellini en «sphérification» de chocolat blanc, huître au gingembre avec cava onctueux mais rempli de bulles, crème de foie gras à la truffe et à la figue avec feuille de Pedro Ximenez, crevette cuite à table par les vapeur d'un verre d'oloroso versé sur une pierre brûlante...

Photo: Marie-Claude Lortie, La Presse

Rouleau à la crevette Tempura chez Dos Palillos.

Le menu dégustation - très long - du Celler est époustouflant et se termine par plusieurs desserts de Jordi, connu dans le monde de la gastronomie notamment à cause de ses plats créés en déconstruisant des parfums célèbres comme Eternity de Calvin Klein ou Trésor de Lancôme. Et qui aurait dit qu'on pouvait inventer un dessert en hommage à un célèbre but de soccer ou reproduisant la douceur d'une brebis broutant dans les collines, bruit de cloches inclus...

Le chef Joan Roca est confiant de voir l'influence elBulli continuer à planer sur la Catalogne, malgré les changements envisagés par Adrià. «Beaucoup de jeunes font des choses intéressantes, explique-t-il en entrevue. L'esprit demeure.»

Et le public catalan l'encourage. Car en Espagne, expliquent plusieurs chefs interviewés, les millionnaires comme les chauffeurs de taxi mangent dans les trois étoiles. Certains le font une fois par mois. D'autres un seule fois par année. Mais tout le monde embrasse la grande gastronomie. La respecte. En est fier.

Évidemment, précise Joan Roca, il n'y a «personne d'autre comme Ferran» qui peut reprendre le flambeau exactement là où le maître de Roses le laissera en changeant la mission d'elBulli. Ni en Espagne, ni à Chicago, ni à Paris, ni à Copenhague ou ailleurs, précise le chef. Mais la créativité continue.

Photo: Marie-CLaude Lortie, La Presse

Dessert reproduisant goût de la vanille Can Roca.

«Carme (Ruscalleda) est encore là, évidemment», précise Joan Roca, en faisant allusion à la triple étoilée du restaurant Sant Pau, non loin de Barcelone. «Et il y a encore beaucoup de restaurants et jeunes qui proposent des choses intéressantes. Comme Jordi Cruz chez Abac ou Javier et Sergio Torres, au Dos Cielos.»

Les deux ciels

Installé tout en haut de la tour de l'hôtel ME, pas loin de la mer, dans une zone de Barcelone en pleine construction, le Dos Cielos est, effectivement, toute une expérience. D'abord la vue est spectaculaire. Et le repas l'est aussi.

D'entrée de jeu, on est accueilli par les deux chefs, des vrais jumeaux qui saluent tous leurs clients et leur font traverser la cuisine avant d'accéder à la salle à manger. Et là, les petits plats se succèdent, délicats, travaillés. On sent l'influence de la cuisine moléculaire dans les sphérifications, les écumes, les gelées, les trompe-l'oeil. Mais le goût n'est jamais sacrifié. On peut ainsi essayer les spectaculaires «espardenyas» - fruits de mer typiques de la Catalogne - sur risotto noir à l'encre de seiche ou encore se perdre dans un jarret de chevreau à la bagatelle de lait d'amande.

Mais l'influence Adrià ne se voit pas que chez les restaurants de type «nappe blanche». Prenez Dos Palillos, ouvert dans le quartier branché du Raval, à Barcelone, par Albert Raurich, un ancien d'elBulli (qui tient d'ailleurs tellement à ce qu'on le sache qu'il a affiché son ancienne veste de cuisinier, autographiée par le maître, en vitrine).

Photo: Marie-Claude Lortie, La Presse

Dessert hommage but de Messi au Celler Can Roca.

Dans ce bar à tapas à l'asiatique, on mange toutes sortes de petites créations qui mélangent les approches espagnoles, chinoises et japonaises. Les won-ton, par exemple, s'y déclinent avec de la langoustine mais aussi du jamòn, tandis que le cou de porc côtoie les mini-maïs sautés ainsi que les piments doux. Le foie de lotte, lui, se pare d'une glace au wasabi (du vrai) et d'algues.

Autre adresse abordable: le Tapaç24, près de la chic et célèbre rue Passeig de Gràcia, au coeur de la capitale catalane. Dans ce bar à tapas hyper bondé, ouvert par un autre ancien d'elBulli, Carles Abellan, il faut faire la queue car il n'est pas possible de réserver, tout est traditionnel et le menu change selon les arrivages du marché. Mais on sent la précision des techniques dans un plat de mini-seiches cuites dans leur encre, ou dans une mousse au chocolat noir baignant, élégamment (c'est très réussi), dans une fine huile d'olive.

«Ferran a créé une atmosphère de jeu autour de la cuisine», résume la chef Carme Ruscalleda, en entrevue. Il a donné à tous, en Catalogne, non seulement l'envie de créer, mais aussi de s'amuser.

On le sent dans un biscuit au basilic chez le pâtissier Demasié à Barcelone, dans les chocolats à la rose d'Oriol Balaguer (un autre ancien d'elBulli qui a pignon sur rue dans la métropole catalane) et même dans les bonbons artisanaux multicolores de Papabubble, dans le quartier Gothique.

Et n'oubliez pas d'aller faire un tour dans les marchés, comme la Boqueria ou le Santa Caterina. Même les raisins moscatels y rient aux éclats.

Les frais de transport de ce voyage ont été payés par Air Transat.

Photo: Marie-Claude Lrotie, La Presse

Amuse-bouche à la tomate chez Dos Cielos.