Le règne islamique de l'al-Andalus, amorcée en l'an 711, a pris fin avec la chute de Grenade en 1492, l'année même où Christophe Colomb a découvert l'Amérique. Cet âge d'or musulman en Espagne a donné au pays quelques-uns de ses plus beaux trésors. La Presse vous propose une petite visite guidée de deux des merveilles laissées par les Maures après leur départ.

Fondée par les Maures en 756 sur les ruines romaines d'Illiberis, Grenade a été la dernière capitale de l'histoire mauresque en Espagne. La dynastie des Nasrides y est née avec Mohamed Ben Nasr et s'y est éteinte le 2 janvier 1492 avec la reddition du 22e émir local, Boabdil.

 

Il reste encore bien des traces de cette époque à Grenade: les rues sinueuses de l'authentique quartier arabe d'Albayzín où les maisons blanches font penser à une médina marocaine; et le Bañuelo, ces bains arabes du XIe siècle dont la construction a été financée par... un vizir juif.

Mais l'orgueil des sultans nasrides, c'était l'Alhambra. L'Alhambra, «la rouge» en arabe, à cause de la couleur de la pierre. Les sultans ont bâti ce palais sur la colline de la Sabika qui domine Grenade, juste après la chute du califat de Cordoue, repris par les chrétiens castillans en 1236.

«Les Nasrides ont voulu créer une ville fortifiée indépendante à l'intérieur de Grenade pour se protéger car, à ce moment-là, les chrétiens avaient récupéré plusieurs de leurs possessions et les musulmans étaient donc entourés d'ennemis», explique Maria Valdecasas, guide touristique native de Grenade qui m'a fait découvrir l'Alhambra.

Luxe, calme et volupté

À l'intérieur des murs de l'Alhambra vivaient le sultan et sa famille, les officiers, les soldats d'élite, les serviteurs de la cour, quelques aristocrates arabes et environ 1500 personnes qui produisaient tout ce qui se consommait à l'intérieur. Il y avait à l'époque 50 000 habitants à Grenade, ce qui en faisait une ville importante en Europe, en plein essor économique et artistique.

L'Alhambra comporte quatre sections, la zone militaire ou Alcazaba, avec des tours cubiques que l'on voit du centre-ville de Grenade, les palais nasrides, la médina et les jardins du Generalife. D'autres constructions, comme le palais de Charles Quint et l'église de Santa Maria (mosquée transformée), ont été érigées après la conquête des rois de Castille et d'Aragon.

Nous sommes entrés dans l'Alhambra par la porte donnant accès au palais que Charles Quint a fait construire à l'occasion de son mariage avec Isabel du Portugal. De style renaissance, il abrite depuis un demi-siècle le Musée des beaux-arts de Grenade. Puis, nous avons visité les palais nasrides.

D'abord, l'oratoire du Mexuar, pièce dont la façade permet d'avoir une très belle vue sur Albayzín grâce à quatre balcons à fenêtres arquées. Puis, la Chambre dorée, dont tous les éléments (murs, fenêtres, sols et colonnes) étaient d'un extrême raffinement. Toutes les salles ont des colonnes de marbre aux chapiteaux et abaques très ouvragés.

Les arcs sont en ogive ou outrepassés et les murs finement décorés avec des poèmes en calligraphie gravés avec des entrelacements de végétaux dans le stuc. Les parties inférieures des murs sont souvent recouvertes de céramique.

«Le pic de la splendeur de cet art est arrivé après 1400, car il s'agissait d'une période de paix et de grand essor artistique, affirme Mme Valdecasas. Les relations entre chrétiens, juifs et musulmans étaient bonnes. Par exemple, le sultan Mohamed V et le roi de Castille, Pedro I, étaient très amis.»

On note certains ajouts architecturaux sur les lieux. Ils ont été imposés par les rois catholiques après la conquête. On voit par exemple le blason castillan «plus ultre» inscrit sur un mur («plus ultre» a remplacé, après 1492, le «nec plus ultra» qui signifiait que le monde se finissait là, à la pointe de l'Espagne).

On passe ensuite dans le palais de Comares. La cour des Arrayanes est le lieu le plus magique de l'Alhambra. Quand il y a peu de touristes, comme c'était le cas en janvier, il y règne un calme souverain. Le bassin immobile et miroitant donne alors à l'espace une touche d'harmonie.

Le système d'écoulement permanent de l'eau créé pour ce bassin par les artisans musulmans force le liquide à arriver doucement, sans faire de trouble à sa surface afin que la réflexion de la tour de Comares soit impeccable. Un miroir parfait.

Puis, on parvient au salon grandiose des ambassadeurs, avec sa coupole de bois sculpté. Et, le palais des Lions comprenant la cour des Lions, ses colonnes et sa fontaine centrale avec 12 sculptures de lions en son pourtour. Malheureusement, les lions étaient en cours de restauration...

D'autres salles sont magnifiques, avec des voûtes remplies de murqanas, ces nids d'abeilles associés géométriquement et donnant une succession de structures en trois dimensions. On les trouve aussi associées à des azulejos et à des calligraphies, notamment dans la salle des deux S oeurs.

Après être passé sur le patio de la Grille et dans les jardins de la Daraxa, nous sommes sortis pour aller nous promener dans les anciens jardins d'été des rois maures, le Generalife, avec ses fontaines, ses cyprès et ses canaux d'irrigation. Il n'y avait pas d'eau, en effet, sur la Sabika avant la construction de l'Alhambra. Les Maures ont dû détourner un ruisseau pour apporter l'eau dans leur cité.

Car si les Maures ont bâti des quartiers, des forteresses, des châteaux, des tours, des bains, ils avaient aussi bien du génie pour l'irrigation, l'horticulture et les sciences, comme la grammaire, la géométrie ou les mathématiques. Une visite au pavillon de l'al-Andalus et de la science, au Parc des sciences de Grenade, permet de prendre conscience du fait que la soif de conquête de ce peuple s'accompagnait d'un désir de développement social et d'ouverture aux autres cultures. C'est en Andalousie que l'on a alors traduit grand nombre d'oeuvres de l'Antiquité.

«Après le départ des Maures, au début du XVIe siècle, Grenade a connu une longue période de stagnation, voire de déclin», ajoute Mme Valdecasas.

L'Alcazaba de Malaga

Le palais-forteresse des anciens gouverneurs musulmans de Malaga ne présente pas le même intérêt que l'Alhambra. La richesse des ornementations n'est même pas comparable. Ce qu'il reste du palais n'est pas aussi bien conservé. De plus, le palais, ses épaisses murailles (une triple enceinte) et ses tours ont été construits beaucoup plus tôt que la forteresse de Grenade, à partir de 1057, sur des ruines romaines. À l'entrée de l'Alcazaba se trouve d'ailleurs un odéon romain très bien conservé.

De plus, une grande partie de l'Alcazaba a été restaurée dans les années 30. Les bâtiments n'ont donc pas le même cachet originel que les palais grenadins.

Par contre, les jardins intérieurs et les patios sont splendides. Quand j'y suis passé, les orangers étaient gorgés de fruits. Il y a beaucoup d'arbres et de fleurs, notamment des hibiscus. Au printemps, les fleurs violettes des flamboyants (jacarandas) ajoutent à la beauté des lieux.

L'Alcazaba est intéressant pour la promenade et pour son calme en pleine ville animée. De plus, à partir des murailles, on peut contempler le port de Malaga, la mer, l'arène de la corrida ou la cathédrale.

Si le coeur vous en dit, vous pouvez aussi aller visiter le Castillo de Gibralfaro, qui se trouve au-dessus de l'Alcazaba, au sommet de la colline. Il s'agit d'un château bâti au VIIIe siècle par l'émir de l'époque. Mais une grande partie a été reconstruite par la suite.

Toutefois, le passage pour aller de l'Alcazaba au Gibralfaro est en réparation. Il faut donc faire un long détour pour s'y rendre, ce qui décourage bien des touristes.

Une partie des frais de ce reportage a été payée par le ministère espagnol du Tourisme et Air Transat.

 

L'Espagne des Maures

Sur la côte andalouse, tous les villages ou presque ont leur mirador arabe, un château ou un minaret transformé en clocher: une visite à Salobreña, Archez, Casares, Algatocín, Benalauría, Benadalid, Alcaucín ou Atajate est intéressante à cet égard.

La route du califat (N-432), qui relie sur 180 km Grenade à Cordoue, est une succession de monuments et de châteaux andalous, notamment à Luque, à Moclín ou à Alcaudete. De même qu'au nord de Grenade, avec les vestiges de Huelma, Cambil, Jimena, Jódar, Baeza ou La Guardia de Jaén.

On peut également visiter des «casas cueva», grottes et constructions souterraines que les Maures ont habitées, précédés par les Juifs et suivis des Gitans après eux. Il y en a à Grenade, dans le quartier de Sacromonte. Il s'agit aujourd'hui de lieux très souvent consacrés au flamenco et à l'envoûtante zambra, vieille danse des noces gitanes. On peut aussi en louer. Certaines ont été aménagées à cet effet. Il y en a surtout dans la région de Guadix et de Baza, à l'est de Grenade mais aussi à Sacromonte, notamment les cuevas El Albanico.

REPÈRES

L'Alhambra

Pour visiter l'Alhambra, monument le plus populaire d'Espagne (2 millions de visiteurs par an), même si des touristes m'ont dit n'avoir eu aucun mal à obtenir une place en se présentant directement au guichet, il est conseillé de faire une réservation sur l'internet le plus tôt possible avant votre voyage, idéalement entre un et trois mois, à www.alhambra-tickets.es.

Le Generalife

Pour visiter le palais et le Generalife, il en coûte 21 (28$). Attention, vous aurez des heures indiquées sur vos billets. Il faut absolument les respecter, sinon vous perdez votre droit d'entrée.

L'Alcazaba

L'entrée à l'Alcazaba de Malaga coûte 2,10 (2,80$). Le site est ouvert tous les jours sauf le mardi, en basse saison, de 8h30 à 19h et en haute saison de 9h30 à 20h.

Pour y aller

Jusqu'au 26 avril, Air Transat assure de Montréal un vol par semaine à destination de Malaga, via Paris.

Liens

Les routes de l'héritage musulman en Andalousie: www.legadoandalusi.es

L'Alhambra de Grenade:

www.alhambragranada.info

L'Alcazaba de Malaga: www.malagaturismo.com

Casa cuevas: www.sacromontegranada.com