Les touristes arrivent par dizaines de milliers en ce début de saison à Chypre malgré la crise financière, mais ils sont loin d'être assez dépensiers pour soutenir l'économie de l'île méditerranéenne qui s'enfonce dans la récession.

Sur la plage de galets devant le Rocher d'Aphrodite, où la légende dit que la déesse de l'amour est sortie des eaux, des dizaines de personnes profitent du soleil et de l'eau cristalline, loin de la crise financière qui a obligé le pays à requérir un plan de sauvetage aux conditions draconiennes.

«Je suis déjà venu souvent, et la crise n'a rien changé pour moi. J'ai juste apporté plus d'argent liquide», explique John, un consultant britannique de 55 ans, marqué par les reportages sur les queues devant les distributeurs lorsque les banques ont dû fermer 12 jours en mars.

De fait, après un léger recul en avril (189 000 arrivées contre 162 000 en 2012), les réservations se sont reprises et les projections réalisées avec les données des compagnies aériennes et des agences de voyages laissent entrevoir une fréquentation comparable à l'année dernière, selon l'office du tourisme.

Le secteur est crucial pour Chypre: l'année dernière, les 2,46 millions de touristes enregistrés ont rapporté 1,92 milliard d'euros (2,6 milliards de dollars), soit 10,5 % du produit intérieur brut.

Le gouvernement a d'ailleurs déployé tous ses efforts pour s'assurer que la compagnie nationale Cyprus Airways reste à flot jusqu'à la fin de l'été, malgré ses pertes abyssales.

«C'est surprenant, mais cette saison commence mieux que l'année dernière», note George Nicolaou, 48 ans, propriétaire et gérant d'un appart-hôtel familial face à la mer près de Larnaca, dont 50 % des chambres sont déjà réservées pour le mois de juin, sans compter les nombreuses arrivées de dernière minute.

Mais le bar et le restaurant de son établissement ne font plus recette. «Les gens ont un budget serré», explique-t-il.

Assise à la terrasse de son restaurant sur le port de Paphos, Eleni Ionannou fait le même constat. Les touristes ont opté pour le sandwich ou les formules «tout compris» à l'hôtel, et ne viennent plus que pour un café ou un dessert.

À cette saison l'année dernière, elle avait 300 clients par jour. Cette semaine, elle n'en a enregistré que 150, et la consommation moyenne est passée de 25 à 15 euros (34 $ à 20 $). «Même les locaux ont pris peur, ils ne dépensent plus», se lamente-t-elle.

Pour rétablir la confiance après la crise financière, «les agences de voyages ont été obligées de proposer des prix très bas, ce qui a conduit à l'arrivée d'une catégorie de touristes qui dépensent moins», reconnaît Doros Giorgiades, directeur régional de l'office du tourisme.

Mauro Protopapa, un vétérinaire italien de 29 ans, est ravi d'avoir pu ainsi amener sa petite amie archéologue visiter Chypre.

«Avant c'était très cher, mais avec la crise les prix ont baissé alors on a décidé de venir ici, surtout pour l'archéologie et pour l'histoire de ce pays. Grâce à la crise, on a pu venir, en payant un peu moins», explique-t-il.

Dans ces conditions, comme le reste de l'île qui pourrait connaître une récession à deux chiffres cette année, de nombreux professionnels du tourisme sont au bord de l'asphyxie financière.

M. Nicolaou a ainsi vu le taux du crédit contracté pour racheter son hôtel en 2005 passer de 3 à 7 % au fur et à mesure que les banques de l'île s'effondraient, faisant exploser le montant des intérêts à rembourser, qui seront cette année supérieurs au bénéfice total prévu pour la saison.

«Je travaille 16 heures par jour, et je perds de l'argent chaque jour. Notre rôle est de nous assurer que les clients et les touristes soient heureux, mais il faut que les banques jouent leur rôle et baissent les taux d'intérêt. Pour l'instant, elles ne nous laissent pas respirer», explique-t-il.