C'est en Belgique que la légende du soul  a composé son grand succès, Sexual Healing. Une visite avec un iPod permet de suivre ses traces.

Aujourd'hui, il fait soleil à Ostende. En bord de mer, sur la promenade Albert 1er, les «go-karts» slaloment entre les piétons, tandis que des mouettes survolent les terrasses, à la recherche de quelques frites égarées.

L'endroit, pittoresque, évoquerait plus une chanson de Jacques Brel que l'usine à tubes de Motown. Et pourtant, c'est bien ici que Marvin Gaye a composé son plus grand succès, Sexual Healing, avec l'aide de musiciens flamands.

Non, ceci n'est pas une blague de Belge. Au début des années 80, la légende du soul a vécu près de deux ans dans cette station balnéaire au charme suranné, qui borde la mer du Nord, à une heure de train de Bruxelles.

Cette histoire, que la plupart des Belges ignorent, méritait d'être racontée. Et c'est la mission que s'est donnée l'Office du tourisme d'Ostende, avec son Marvin Gaye Midnight Love Digital Tour. Pour la modique somme de 5 euros, le visiteur peut désormais suivre les pas ostendais de feu Marvin, avec l'aide d'un simple iPod, garni d'extraits vidéo et d'entrevues avec les «locaux» qui l'ont connu.

«C'est notre meilleur vendeur parmi nos balades numériques», nous dit la dame de l'Office, avant de nous remettre le matériel.

Deux ans

Mais comment diable une vedette noire américaine, vivant de surcroît en Californie, s'est-elle retrouvée dans ce bled blanc situé dans le nord du Plat Pays? 

C'est la question qu'on se pose d'entrée de jeu, et à laquelle répond l'iPod dès les premières mesures et tout au long de cette visite qui dure au moins deux heures - mais qu'on peut faire à son rythme.

En 1980, l'interprète de What's Going On et Heard it Through the Grapevine est au fond du baril. Ses disques ne se vendent plus. Motown vient de le lâcher. Il doit 4 millions au fisc. Et il entame son second divorce. Cerise sur le gâteau : sa dernière tournée britannique a été un échec. 

Miné par la dépression et des problèmes de consommation, il stagne à Londres, lorsque Freddy Cousaert, sympathique Belge, grand amateur de rhythm and blues, lui propose de venir se retaper à Ostende. Son séjour devait durer deux semaines. Il durera deux ans.

«Ostende soul»

Écouteurs sur les oreilles, on s'arrête devant l'hôtel où le chanteur a vécu quelques mois. Au Casino, où il a effectué son retour sur scène. Puis sur la plage, où il faisait son jogging quotidien, vêtu de son éternel survêtement. Détour, enfin, par les troquets de Laang Straat, qu'il fréquentait en parfait anonyme, ou presque. Chez Lafayette, une photo de son passage trône encore derrière le bar. Sous le cadre, deux simples mots: «Soul ostendaise».

Le point fort de la visite reste toutefois la «Résidence Jane», située face à la mer, au 77 de la promenade Albert 1er. C'est là, au 4étage de cet immeuble en hauteur, que Marvin Gaye va composer Sexual Healing, la chanson qui le remettra sur les rails et lui permettra de renouer avec les États-Unis. 

Belle médaille... qui a toutefois son revers. Sitôt de retour à Los Angeles, le chanteur va retrouver ses vieux démons, drogue et alcool. Une longue rechute qui s'achèvera par sa mort en 1984. Assassiné par son propre père. Il n'avait que 45 ans.

Bien qu'improbable, cette parenthèse belge reste un marqueur dans la carrière de Marvin Gaye. Lieu de création. Et surtout, de reconstruction. Une évidence que lui-même admettra, dans l'un des extraits du Midnight Love Tour. 

«Il y a peut-être des endroits où je préférerais être, mais je dois rester ici. Je suis un orphelin et Ostende est mon orphelinat...»

Photo Jean-Christophe Laurence, La Presse

C'est au 4étage de cet immeuble en hauteur que Marvin Gaye va composer son succès Sexual Healing.