Les Belges ont beau avoir inventé la bière (bon, pas vraiment, mais c'est tout comme), il reste que l'ébullition brassicole récente qui a vu naître des centaines de microbrasseries chez nous et aux États-Unis s'est produite en Wallonie aussi.

Le nombre de brasseries fondées au tournant des années 2000 dans le pays de Tintin et Milou est impressionnant.

«Aussi surprenant que cela puisse paraître, les Belges s'intéressent peu à la bière, du moins par rapport à l'aura dont bénéficie le pays.» La déclaration d'Yvan de Baets, de la Brasserie de la Senne, à Bruxelles, témoigne de l'état d'esprit de plusieurs jeunes brasseurs de Wallonie. La solution? Créer leurs propres brasseries.

«En bons égoïstes, on l'a fait pour nous. On est là pour faire ce que l'on veut boire nous-mêmes», insiste M. de Baets.

À plus de 150 km de là, près de la frontière du Luxembourg, Grégory Verhelst tient le même discours. «Moi, je fais de la bière pour les buveurs de bière», affirme le propriétaire de la brasserie La Rulles.

Les jeunes brasseurs belges ont ainsi redonné ses lettres de noblesse à l'amertume, pourtant bien présente autrefois en Belgique. «On a vu dans les années 80 et 90 des bières de plus en plus sucrées. C'est de la manipulation par l'estomac, car nous avons une attirance animale pour le sucré. L'amertume, au contraire, on est censé la rejeter parce c'est le signe du poison, s'enflamme Yvan de Baets. L'amertume est donc un goût acquis qui rend libre par rapport à la grande industrie agroalimentaire.»

God bless America

La grande industrie brassicole belge en prend pour son grade dans les petites salles de brassage artisanales de Wallonie! On y critique le goût des bières commerciales, tout en s'indignant de la réputation non méritée de la bière dite «belge». Même si elle fait rondement tourner les affaires. «On profite de l'aura de la bière belge, mais elle n'est pas objective, observe Gregory Verhelst. Par exemple, un amateur américain va apprécier une bière simplement parce qu'elle est belge. Le problème, c'est que des bières belges de basse qualité partent en très grandes quantités à l'étranger.»

Malgré des capacités d'exportation limitées, les jeunes brasseries s'efforcent de créer des bières à la hauteur de la tradition belge. Avec un soupçon d'inspiration puisé de notre côté de l'Atlantique. «On a beau parler des États-Unis à cause du fast-food et des McDonald's, ce sont les microbrasseries américaines qui ont ramené l'amertume à l'avant-scène dans le domaine brassicole», soutient Yvan De Baets.

Près de Marche-en-Famenne, dans les Ardennes, Pierre Jacob, propriétaire de la Brasserie Saint-Monon, qui a mis au point la Mix Hop (qui mélange cinq types de houblon), songe même à cultiver son propre houblon.

Cela étant, les jeunes brasseurs belges se gardent d'aller trop loin avec le houblonnage à tout crin, à l'opposé de certains de leurs homologues américains qui balancent dans leurs cuves des quantités effarantes de l'amère plante. «Le but, ce n'est pas que le houblon reste pendant 20 ans sur la langue! s'exclame Pierre Delcoigne, propriétaire de la Brasserie des Légendes, à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest de Bruxelles. Une bière doit avoir un bon équilibre digestif, doit être désaltérante, chaleureuse et moelleuse.»

Ainsi, les jeunes brasseurs s'inspirent du Nouveau Monde et filtrent le tout à travers le tamis des traditions belges.

Mais ils restent avant tout des passionnés. «Quand j'étais petit, j'adorais faire la cuisine. Aujourd'hui, c'est la bière qui me passionne, s'enthousiasme Pierre Delcoigne. Ça n'a rien de scientifique, de formel, c'est une passion quasi dévorante. Le soir, quand je m'ouvre une bière, je me dis que ça vaut la peine d'avoir des soucis!»

*Les frais de ce reportage ont été payés par Air Canada et Wallonie-Bruxelles Tourisme.