Comme au temps du communisme, les naturistes investissent toujours en été la longue plage de Prerow, autrefois située en RDA, sur la côte allemande de la Baltique. La «culture du corps libre», une des rares libertés concédées par l'Allemagne de l'Est, a largement survécu à la chute du Mur il y a 20 ans.

«Ca n'a rien de sexuel», affirmait en août dernier à l'AFP Udo Schumacher, 64 ans, qui se prélassait dans le plus simple appareil sur le sable venté de cette petite station balnéaire, à environ 50 km des premières côtes danoises.

«Si vous saviez comme c'est agréable de nager nu, et de sortir de l'eau sans sentir son maillot de bain mouillé...», s'enthousiasmait le sexagénaire.

Dans ces eaux fraîches de la Baltique, mais également au bord des très nombreux lacs de l'est de l'Allemagne, le naturisme, couramment désigné en allemand par le sigle «FKK», a longtemps été vécu en RDÀ comme une fenêtre de liberté dans un monde de restrictions.

«Les gens en RDÀ ont dit en quelque sorte aux autorités +ne nous enlevez pas ça!» expliquait M. Schumacher.

Car même en été sur la plage, les vacanciers est-allemands devaient composer avec un environnement très «encadré», rappelle Doris Pegel, 53 ans, qui gère le musée local de Prerow.

Pour cette seule station balnéaire, 2.500 gardes-frontières, 70 miradors, des projecteurs, des barbelés et des radars devaient s'assurer qu'aucun estivant ne s'enfuirait par la mer, vers la Scandinavie ou l'Allemagne de l'Ouest. Pour la même raison, il était interdit de barboter sur un matelas pneumatique, ou de faire du surf ou de la voile.

Pas étonnant, dans ces conditions, que la liberté de se mettre nu ait rencontré un tel engouement, explique Josie McLellan, une universitaire britannique spécialiste de l'ex-RDA, auteur d'une longue étude sur le sujet. À Prerow, le camping naturiste faisait régulièrement le plein.

Cette liberté, pourtant, les nudistes ont dû la conquérir, car dans les années 1950, le jeune régime communiste avait tenté d'éradiquer cette «dangereuse décadence de petit bourgeois», héritée du culte des corps pratiqué par les nazis.

Problème pour les autorités de l'époque: nombre de naturistes étaient membres du parti, policiers ou même magistrats. Ces fidèles du régime ont protesté, arguant que nudité et communisme n'avaient rien d'incompatible.

«Ici, la femme n'est pas un objet de désir, elle est une camarade, et il n'y aucun bikini pour provoquer l'excitation», expliquait l'un d'entre eux, dans une enquête sur les adeptes du «FKK» réalisée en 1966, et citée par Mme McLellan.

Au fil des ans, les nudistes ont gagné la partie, au point que, dans les années 1960 et 1970, le naturisme, devenu une passion nationale, est encouragé par les autorités. Il est alors plus populaire en RDÀ que dans le monde capitaliste, et davantage également que dans les autres pays du bloc communiste, sauf peut-être sur les plages de Croatie.

Pour s'essayer au «FKK» en RDA, rien de plus simple: aucune adhésion à un club naturiste n'est requise... et pour cause, toute association de ce type est interdite. D'où la blague qui circule à l'époque: «Comment appelle-t-on une réunion d'au moins deux citoyens de RDA? Un rassemblement illégal. Ou une plage naturiste».

Après la Chute du Mur, les Allemands de l'Ouest aussi sont venus envahir les plages de la Baltique. Certains, moins habitués au «FKK», ont d'ailleurs lancé des regards pudibonds, si bien que la plupart des stations balnéaires ont instauré sur les plages une séparation entre naturistes et «textiles».