Quand le prince bavarois Philippe a hérité du Palatinat à la fin du XVe siècle, il a été horrifié par le manque de raffinement du château de la capitale, Heidelberg. Fort heureusement, une «campagne électorale» pour le poste d'empereur du Saint Empire romain germanique était en cours, et le prince électeur du Palatinat avait depuis toujours la prérogative de proposer un candidat. L'Espagne a offert une forte somme pour que le Palatinat propose Charles Quint. En quelque sorte, l'or des Incas a financé le merveilleux château de Heidelberg, et a garanti à la ville une affluence touristique comme il y en a peu en Allemagne.

En contrebas du château, on peut visiter la «prison des étudiants», installée dans la mansarde du logement du concierge de l'Université de Heidelberg. Jusqu'en 1914, le recteur pouvait y envoyer réfléchir les fortes têtes qui narguaient les gendarmes prussiens ou libéraient les cochons des paysans (l'équivalent allemand de «se lâcher lousse» est d'ailleurs «faire sortir le cochon»). Seulement, les étudiants ont transformé la punition en fête. Ils pouvaient y amener leur valet et inviter des amis. «Tout étudiant qui se respectait devait séjourner au moins une fois dans la prison», explique la guide Isabelle Pauli. Mark Twain y a même passé une nuit durant une tournée européenne, pour juger lui-même de l'atmosphère. Les murs sont couverts de graffitis, certains remontant à la fin du XIXe siècle.

 

Ces deux sites forment l'axe central du charme de Heidelberg. La juxtaposition de la majesté impériale du château et de la vitalité étudiante - l'université est responsable de près de la moitié de la population de la ville, étudiants et employés confondus - est irrésistible. Et par un heureux miracle, les crêtes des deux montagnes qui enserrent la ville sont restées vierges, ce qui donne des coups d'oeil époustouflants.

Les péripéties qu'a connues Heidelberg sont irrésistibles. Elle est à la source de la guerre de Trente Ans, au XVIIe siècle, quand la petite-fille de la reine écossaise Mary Stuart a encouragé son mari, prince de Heidelberg, à revendiquer la couronne de Prague. Elle a lancé son industrie touristique grâce à un riche marchand français qui au milieu du XIXe siècle a décidé de sauver le château menacé par la ruine, et qui a attiré les artistes de l'époque romantique avec une large diffusion d'esquisses de ses murs à demi démolis. Elle a donné lieu à une amitié romantique particulièrement prolifique pour Goethe, qui a visité la ville huit fois pour revoir son aimée. Ses célèbres restaurants pour étudiants ont conservé les tables où des graffitis ont été gravés. Elle a été épargnée par les bombardiers alliés durant la guerre, parce qu'elle n'abritait pas d'industrie militaire - mais la rumeur veut que les Américains l'aient épargnée parce qu'ils la trouvaient trop jolie et planifiaient déjà leur base, qui compte encore 15 000 soldats.

Heidelberg a perdu son statut de capitale électrice en 1720, quand son souverain a transféré ses pénates à Mannheim. L'une des clauses d'un traité de paix après une guerre avec Louis XIV prévoyait que Heidelberg redevienne catholique. Le prince palatin a eu beau inviter les jésuites, qui ont fabriqué l'une des plus belles églises de la ville, avec un style baroque curieusement sobre parce que le transfert à Mannheim a eu lieu au beau milieu de la construction. L'église de la place centrale, elle, a une abondance de portes parce qu'elle a été divisée en deux - le coeur catholique, la nef protestante - pendant la construction de l'église des jésuites. De cette époque datent les innombrables statues de la vierge de la ville.

À ne pas manquer, les visites guidées de botanique organisées par le bureau de tourisme sur le Philosophenweg (le chemin des Philosophes). Il s'agit d'un micro-climat où poussent même des palmiers. Le sentier est ainsi nommé parce qu'après des réformes au milieu du XIXe siècle, les professeurs d'université ont vu leur salaire grandement augmenter, ce qui leur a permis de se faire construire des villas en face de la vieille ville, en contrebas d'un sentier de vignerons qui est devenu leur lieu préféré de réflexion.