Fantôme de la Guerre froide, la station d'écoutes abandonnée du Teufelsberg est devenue à Berlin une véritable attraction touristique, mais personne ne sait que faire de cette ruine, symbole de l'histoire tumultueuse de l'Allemagne.

«Le lieu a quelque chose de mystérieux et son histoire fascine». Entre 1973 et 1975, Chris MacLarren, aujourd'hui retraité de l'armée américaine, a travaillé dans les locaux de la station créée en pleine forêt en 1963 par les États-Unis et la Grande-Bretagne pour écouter l'Allemagne de l'Est et au-delà.

Il revient désormais chaque dimanche avec des touristes à l'étage où il travaillait. L'endroit, désaffecté, est couvert de fresques de «street art». La station n'est plus qu'une carcasse surmontée de trois grands bulbes qui abritaient les systèmes d'écoutes longue portée des Alliés.

Autrefois prisé des squatteurs et autres adeptes de fêtes sauvages, le Teufelsberg (la colline du Diable) est devenu un aimant pour les touristes à la recherche des traces «authentiques» du passé troublé de la capitale allemande. Loin de Checkpoint Charlie, l'ancien point de passage entre Berlin Ouest/Est, investi par les fast-food et les voyagistes, dans le centre de la ville.

La colline est elle-même un morceau d'histoire.

Quelque 26 millions de mètres cubes de décombres des bombardements de la Seconde Guerre mondiale ont donné naissance à ce monticule de 115 mètres de haut, aujourd'hui le point le plus haut de la ville. C'est là même que Hitler avait fait démarrer en 1937 les travaux de la cité universitaire qui devait, avec le stade olympique, constituer l'entrée ouest de «Germania», la future capitale du «Reich de Mille ans».

Travail «fastidieux» mais «essentiel»

Environ 10 000 personnes viennent chaque année au Teufelsberg, caché dans la forêt de Grunewald. «Il y a une majorité d'Allemands de l'Ouest mais également beaucoup d'étrangers», déclare M. MacLarren qui, à chaque visite, plonge ses auditeurs au coeur de la Guerre froide. «On avait l'habitude de dire que l'on pouvait entendre Brejnev se laver les dents», rigole-t-il, décrivant son travail d'écoute comme «fastidieux, ennuyeux» mais «essentiel» pour garantir la sécurité de l'Ouest.

«C'était comme l'assemblage d'un casse-tête, donc il fallait aimer les casse-têtes», explique-t-il encore, livrant anecdote sur anecdote. Des centaines de marches permettent de grimper au sommet de la tour principale d'où on a une vue à 360 degrés sur Berlin et Potsdam.

Cette situation exceptionnelle a donné à des investisseurs immobiliers l'idée de racheter en 1996 le site abandonné par les Alliés un an après la chute du Mur. Mais de leur projet d'hôtel 5 étoiles et de lofts avec vue panoramique ne reste plus que le squelette d'un appartement-témoin.

La station est tombée en ruines et le classement en 2006 du périmètre en zone naturelle complique encore tout éventuel projet de construction.

À la faveur des multiples trous creusés dans le grillage entourant le site, le promeneur a longtemps pu y flâner, mais depuis trois ans les investisseurs ont mandaté un gérant pour s'occuper du lieu.

La clôture, réparée, est surveillée et le visiteur doit s'acquitter de 7 à 15 euros (pour la visite historique conduite par M. MacLarren).

En parallèle, une association «Berliner Teufelsberg» s'est créée pour faire du Teufelsberg un «mémorial» où pourraient être organisés des évènements artistiques et culturels, actuellement interdits pour des raisons de sécurité.

Mais entre les propriétaires, la ville État de Berlin, le gérant, l'association et les riverains, aucun accord n'a pour le moment été trouvé.

La dernière hypothèse en date est celle d'un rachat du site par la ville État. «Cela aurait du sens pour le Land de Berlin», confirme à l'AFP Marc Schulte, conseiller responsable du développement urbain pour l'arrondissement de Charlottenburg, où se trouve le Teufelsberg.

Le futur maire de Berlin, Michael Müller, soutiendrait un tel projet, selon des informations de presse, mais la pierre d'achoppement serait le prix envisagé par les actuels propriétaires alors que Berlin est déjà lourdement endettée.

«Au plus tôt, il y aura des changements à cette situation en milieu d'année prochaine», a mystérieusement promis un des investisseurs, contacté par l'AFP.