Le trajet Paris-Moscou prend moins de quatre heures en avion. Et deux jours en train, avec un arrêt à Berlin, à mi-chemin. Récit d'un voyage au long cours pour prendre la mesure d'un continent, d'une partie de son histoire et de gens qui le peuplent, d'ouest en est.

Paris, samedi 20h20, gare de l'Est. La foule est fébrile. Partout, on entend les cris de passagers qui cherchent leur train, le vacarme des bagages à roulettes qui suivent plus mal que bien les retardataires, les enfants surexcités qui pleurent un jouet échappé.

Sur la voie, au milieu du convoi, un wagon bleu-blanc-rouge, les couleurs de la Russie. Le voilà, ce Paris-Moscou qui n'est en fait qu'une simple voiture-lit.

Igor et son collègue moustachu vérifient les billets et demandent aux passagers s'ils ont tous les visas nécessaires pour le voyage.

À bord, chaque compartiment compte trois sièges olive, une petite table, une armoire avec une carafe d'eau. Igor propose du thé, servi dans une tasse ornée de la faucille et du marteau, symboles tenaces en Russie, même si 20 ans ont passé depuis la chute du régime communiste.

Coup de sifflet: le train s'ébranle. Tandis qu'il sort de Paris en passant par une zone où règnent de vieux entrepôts fatigués, Igor revient dans la cabine et transforme la banquette en lit. Deux autres couchettes se cachent dans le mur, et elles y resteront. Le compartiment accueille jusqu'à trois passagers, mais d'un même groupe seulement. On ne voyage pas avec des inconnus dans ce train.

Après des décennies de service, le Paris-Moscou avait cessé de circuler en 1993. Les chemins de fer russes l'ont ressuscité il y a deux ans. Trois fois par semaine, il quitte donc Paris en fin de journée, arrive le lendemain matin à Berlin, où les passagers profitent d'une escale (à l'aller comme au retour), puis repart vers Moscou en après-midi. Le train roule ensuite vers l'est sans jamais changer de cap, traverse Poznan et Varsovie en Pologne, Brest et Minsk en Biélorussie, puis Smolensk en Russie, avant de clore son périple dans la capitale russe en fin de journée, 48 heures après son départ.

Le Paris-Moscou doit sans doute en partie son retour sur rails à la popularité des voyages de longue durée en train. Or, pour l'instant, il a très peu en commun avec les grands trains luxueux comme l'Orient-Express. Il transporte surtout des familles, des grands-mères ou des hommes d'affaires. Il est propre, confortable et le personnel offre un service correct, sans attentions particulières toutefois. On est à mille lieues du fantasme d'opulence, avec sandwich aux concombres à l'heure du thé. Reste que ce train traverse tout un continent. Un vrai voyage.

Les paysages

Le relief du nord de l'Europe ne brille pas par sa diversité. Le long du parcours: peu de montages, plutôt des plaines à perte de vue, ponctuées de champs, de forêts, de villages et de villes.

À mesure que le train progresse vers l'est, les hameaux pittoresques de France et de l'ouest de l'Allemagne, avec leurs clochers en flèche, leurs champs de canola en fleur, leurs petits jardins soignés, font place à des complexes industriels modernes, des usines Volkwagen flambant neuves. Puis, passé Berlin, la voie ferrée traverse une campagne moins aménagée. Le long des rivières polonaises, on aperçoit des pêcheurs assis sur les berges, quelques biches qui broutent dans les hautes herbes, des oies au repos dans les champs en labours.

En Biélorussie, des groupes de maisons, parfois en brique, mais le plus souvent en bois avec des toits de tôle, se pressent le long du chemin de fer.

Des paysans, casquettes et tricots pour les hommes, fichus et larges jupes de laine pour les femmes, travaillent dans leurs potagers, ou dans de petits champs, avec à l'occasion l'aide d'un cheval. Et peu à peu, des Lada font leur apparition aux passages à niveau et sur les chemins boueux.

Jusqu'aux faubourgs de Moscou, à l'ombre des églises orthodoxes à bulbes ornés de croix, le temps semble presque s'être figé quelque part au début du XXe siècle. Voire plus tôt. On dirait qu'on vit ici comme on a toujours vécu, à l'abri des soubresauts de l'histoire.

Les villes

Le Paris-Moscou croise aussi sur sa route des villes. Dans lesquelles il s'arrête à peine par contre. En Pologne, on entrevoit tout juste les jolis tramways de Poznan. De Varsovie, en pleine nuit, on doit se contenter de quelques tunnels ou de quais desquels on aperçoit les lumières d'une ville qu'on devine pleine de vie. À Minsk, capitale de la Biélorussie, les voyageurs disposent d'une vingtaine de minutes pour explorer la gare bétonnée, très «soviétiques» et grouillante de monde, dont une babouchka égarée qui repartira bien déçue de n'avoir pas été comprise par un touriste aussi peu sûr de lui qu'elle.

Heureusement, des escales de six heures à l'aller et de dix heures au retour permettent d'explorer Berlin (voir texte en page 10), point de rencontre de l'Europe de l'Ouest et de l'Est, qui porte encore de nombreuses traces de l'ancienne division qui a marqué le siècle dernier.

La frontière

À bord du train, en fait, le passage dans l'ancien monde communiste se fait surtout sentir à la frontière de la Biélorussie, seul point de contrôle du trajet.

Au beau milieu de la nuit, les douaniers polonais, dont le pays fait aujourd'hui partie de l'Union européenne, lancent le bal. Vérification de passeports, fouilles aléatoires et questions habituelles. Mieux vaut ne pas se rendormir tout de suite, car 15 minutes à peine après ce premier contrôle, le train s'arrête de nouveau. Au tour des douaniers biélorusses de faire leur tournée. Dans le train, des soldats et de gros gaillards en veste de cuir (services secrets?) circulent aussi dans tous les wagons.

Suit l'ajustement des essieux du train, car les rails sont plus larges à l'est de la frontière. Wagon par wagon, marche arrière, marche avant, le train est désassemblé dans de vastes entrepôts. Des vérins soulèvent chaque voiture, puis des cheminots, marteau à la main, élargissent l'empattement. Le train est finalement recomposé. Pas toujours délicatement. Gare aux cahots qui pourraient vous projeter hors de votre couchette.

Le soleil est déjà haut dans le ciel quand le convoi reprend sa route. À l'arrêt, une voiture-restaurant russe s'est jointe au train. Dans un décor qui évoque à la fois le vaisseau spatial, avec des banquettes en plastique rouge, et la datcha, avec ses rideaux de dentelle, ses nappes fleuries, et au son d'une musique qu'on pourrait qualifier d'électro-romantique, deux employés des chemins de fer servent soupes de boeuf à l'aneth, salades de maïs en grains, omelettes, thés et bières. Les prix sont plutôt élevés (sans être prohibitifs), ce qui explique sans doute pourquoi la voiture-restaurant est presque toujours vide.

À bord, on se sent déjà loin de Paris. Les Russes parlent peu anglais, encore moins français. Les menus sont en alphabet cyrillique seulement, les prix en roubles. Or, les employés feront néanmoins leur possible pour convertir les prix en euros et vous aider à faire des choix.

Tranquillement, le jour tombe. À 20 minutes de l'arrivée, soudainement, des autoroutes, des viaducs et des gratte-ciel surgissent devant les fenêtres du train. Voici Moscou. Voitures luxueuses, boutiques clinquantes où trônent les logos des grandes marques... c'est comme un autre bond dans le temps qui se produit, vers un monde où tout semble neuf, cher et clinquant.

Le Paris-Moscou termine sa course à la gare de Biélorussie, tout près du centre de la capitale. On y trouve des bureaux de change et au moins un guichet automatique où retirer ses premiers roubles pour le taxi. Les environs immédiats de la gare ne sont pas très invitants, les visages des passants sont plutôt fermés, mais rassurez-vous, Moscou a beaucoup d'histoires à raconter. Vous êtes arrivé, mais le voyage est loin d'être terminé.



Le Paris-Moscou: repères

Se procurer un billet

En Amérique du Nord, c'est Rail Europe qui vend les titres de transport pour les trains européens. On peut se les procurer dans les agences de voyages ou sur le site internet (en français) de l'entreprise (www.raileurope.ca). Pour l'aller-retour, compter autour de 900$ en occupation simple et moins de 600$ en occupation triple. Rail Europe propose à l'occasion des prix spéciaux. À partir du mois de décembre 2011, le Paris-Moscou doit devenir un train entier, avec cabines et services plus luxueux. Son trajet sera aussi quelque peu modifié (il passera par Bruxelles... et Berlin, toujours) et son temps de parcours pourrait être réduit à une quarantaine d'heures. La fréquence des départs passerait de trois à cinq par semaine.

Les visas

Les Canadiens doivent obtenir un visa de tourisme de Russie et un visa de transit de la Biélorussie pour effectuer le parcours. Les démarches peuvent être longues et frustrantes si on s'y prend mal.

Pour le visa russe, il faut présenter en personne son dossier au consulat de Russie à Montréal. Ce dossier doit comprendre une invitation d'une agence russe. Nous avons fait affaire avec le site www.waytorussia.net, qui a été très attentif à nos demandes. Comptez entre 30 et 45$US pour obtenir l'invitation. Il faut aussi prendre des photos et remplir un long formulaire, dans lequel on vous demande notamment les noms de vos anciens employeurs, les établissements d'enseignement que vous avez fréquentés et... si vous avez une expérience dans la manipulation d'armes nucléaires (!). L'obtention du visa prend jusqu'à 20 jours et coûte 75$ (ou 135$ pour l'obtenir en trois jours ouvrables). Toute la procédure est détaillée sur le site du consulat (www.montreal.mid.ru).

Le visa de transit de la Biélorussie est délivré par l'ambassade du pays à Ottawa. Là aussi il faut remplir un long formulaire, disponible sur le site www.canada.belembassy.org.

Le visa de transit à deux entrées (aller et retour) coûte entre 30 et 60 euros en fonction des délais.

Soyez sage, prévoyez au moins un mois pour les démarches. La souplesse et la compréhension ne sont pas les qualités premières de la bureaucratie russe. Et ne pensez pas monter dans le train sans tous les papiers. Les douaniers de la Biélorussie ont la réputation de bloquer le passage à tous les récalcitrants.

À bord

Avant de monter à bord, prévoyez quelques provisions, surtout pour le segment entre Berlin et Moscou. Jusqu'à la frontière de la Biélorussie, le service à bord vous permettra de vous alimenter sommairement, sans plus. Un petit arrêt dans une épicerie avant de prendre le train est tout à fait indiqué. À noter, le personnel vous indiquera à quelle heure et sur quelle voie reprendre le train, où vous aurez laissé votre bagage sous clé, après l'escale à Berlin.

Une partie des frais de transport de ce reportage ont été payés par Rail Europe.