Subitement, mon coeur cesse de battre. Je suis sur un belvédère à 650 mètres au-dessus de l'Aurlandsfjord. Mon guide, Noralv, vient de saisir mon carnet de notes pour y inscrire le nom de l'architecte canadien, Todd Saunders, qui a dessiné et conçu cette superbe passerelle de bois qui semble vouloir couler dans le vide. Horrifiée, je vois Noralv poser le précieux carnet sur la mince paroi de verre qui, au bout de l'étroite terrasse, nous sépare de l'abîme.

S'il l'échappe, si le carnet glisse et disparaît, ce sont toutes les notes que j'ai prises pendant un intense voyage d'une semaine dans le sud-ouest de la Norvège qui se perdront à jamais.

On dit qu'avant de mourir, en une fraction de seconde, on voit défiler toute sa vie devant ses yeux. En ce moment, je vois défiler toute ma virée norvégienne.

Stavanger

Je me vois marcher dans de jolies ruelles bordées de maisonnettes de bois blanches, mignonnes, pressées les unes sur les autres à flanc de colline. L'odeur de la rose me revient aux narines. Dans le moindre petit bout de jardin, dans des vases ici et là, les habitants du vieux Stavanger ont planté une multitude de fleurs, mais ce sont surtout les roses qui sont actuellement en floraison.

Stavanger est une ville riche, grâce à l'exploitation pétrolière dans la mer du Nord. Mais c'est aussi une ville prisée des touristes, notamment à cause du paisible quartier aux maisons blanches, mais aussi parce que c'est le point de départ d'une très belle croisière sur le Lysefjord, un nom qui signifie «le fjord de lumière». Je ne peux pas manquer ça.

Je sens la douce chaleur du soleil sur mon visage alors que j'observe les hautes falaises de granit au-dessus de notre petit bateau. À notre passage, je vois trois chèvres de montagne sortir de l'ombre pour s'avancer vers nous. Hum. Ce n'est pas un comportement très normal. Je comprends rapidement: un membre de l'équipage lance quelques tranches de pain, que nos chèvres avalent goulûment. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour faire plaisir aux touristes en mal de photo... Mais les chèvres n'ont pas l'air de se plaindre et, de fait, elles sont plutôt photogéniques.

Je me vois à bord d'un autre bateau, très rapide celui-là, qui fait la navette entre Stavanger et Bergen. Il s'arrête à quelques villes et villages, pour laisser monter ou descendre des passagers. Il me permet d'admirer de beaux bords de mer, des ports paisibles comme Haugesund, des petites fermes colorées en rouge perdues dans la verdeur des collines.

Photo: Marie Tison, La Presse

Les quais de Haugesund au petit matin.

Bergen



Je sens une petite bruine sur la peau en arrivant à Bergen. C'est une des villes les plus arrosées de la Norvège, avec 275 jours de pluie par année en moyenne. Cela ne l'empêche pas d'attirer les visiteurs. C'est surtout grâce à Bryggen, un vieux quartier étrange. Des quais, on voit de vieux bâtiments de bois, un peu de guingois, qui semblent s'appuyer les unes sur les autres. Ma guide, Diane, me fait pénétrer sous une petite porte cochère, et je réalise qu'il y a d'étroites venelles entre chacun de ces bâtiments, des passages sombres, que surplombent de lourds balcons donnant sur diverses boutiques. Le sol de ces ruelles est couvert d'épaisses planches de bois.

«C'était pour qu'il soit plus facile d'y faire rouler des tonneaux», m'explique Diane.

Bryggen est un ancien quartier, une ville dans la ville créée par la ligue des marchands hanséatiques (des Allemands) en 1360, notamment pour concurrencer les marchands de Venise. La ligue hanséatique avait ainsi créé des comptoirs dans plusieurs grandes villes d'Europe.

Pour comprendre un peu mieux cette histoire, je visite le musée hanséatique. À mon arrivée, je suis assaillie par une bonne odeur de poisson séché, un produit qui a contribué à la richesse de ces marchands. J'apprends d'ailleurs qu'il existait à l'époque 23 qualités de morue.

Plusieurs incendies ont ravagé le quartier Bryggen au cours des années. Le dernier, en 1955, a heureusement fait peu de dégâts... à la grande déception des habitants de Bergen, qui n'auraient pas été malheureux de voir disparaître en fumée ce nid à rats, ce rappel de la présence allemande (la Norvège a été occupée par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale).

Les habitants ont depuis changé d'idée. Bryggen, quartier sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, est maintenant l'attraction principale de la ville.

Diane me fait visiter d'autres quartiers, moins connus mais aussi très charmants et plus paisibles, comme le quartier qui borde le funiculaire donnant accès au belvédère du mont Floyen.

Quand je pense à Bergen, j'entends de la musique, celle d'Edvard Grieg. La demeure du grand compositeur norvégien du XIXe siècle, transformée en musée, est située à proximité de la ville, et on y donne fréquemment des concerts.

Je suis assise dans une petite salle de concert à l'acoustique parfaite, tout en bois. Derrière le trio Valen, qui s'exécute ce soir-là, je peux admirer le paisible lac Nordas par une grande baie vitrée.

Photo: Marie Tison, La Presse

Fin d'après-midi sur les quais du quartier de Bryggen, à Bergen.

La route des fjords



Bergen est entouré de sept montagnes, qui sont percées de nombreux tunnels. C'est donc en train, et à travers une série de tunnels, que je quitte la ville. À Voss, j'échange le train pour l'autocar afin de rouler vers Gudvangen. Et on monte, on monte dans les montagnes jusqu'à un point de vue grandiose. À la descente, la route particulièrement spectaculaire aligne lacets sur lacets: elle nous permet d'admirer une chute à droite, une autre à gauche et, au fond, une vallée étroite. En quelques minutes, nous descendons de 840 m. C'est la route la plus raide de Norvège!

À Gudvangen, je me retrouve sur le bord du Naeroyfjord, un fjord si beau qu'il est inscrit lui aussi sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Je reste ici pour la nuit, et je réussis à faire un peu de randonnée et de kayak de mer. Juste un peu. Juste pour avoir envie de revenir.

Je me vois maintenant sur un nouveau bateau de croisière, sur le Naeroyfjord, d'une étroitesse spectaculaire. Les falaises, ici, peuvent atteindre 1300m de haut. Le paysage est somptueux, mais sévère. Quelques petites églises blanches, quelques maisons de ferme sur de petits bouts de prés verts réussissent quand même à égayer le panorama.

C'est ainsi que j'arrive à Aurland, que je rencontre Noralv, que nous montons au belvédère, que Noralv saisit mon carnet... et qu'il me le remet.

Ouf!

C'est le coeur léger que je reprends la route vers Flam.

Photo: Marie Tison, La Presse

En croisière dans le Lysefjord, près de Stavanger.

Le train de Flam



Un immense navire de croisière domine le minuscule Flam. Les quais sont couverts de visiteurs, des croisiéristes bien mis jusqu'aux jeunes avec sac à dos, qui bourlinguent depuis des lunes. Tout ce beau monde a une idée en tête: prendre le fameux train qui relie Flam, au niveau de la mer, à la ligne Bergen-Oslon, tout en haut, à Myrdal, à 866 m d'altitude. La ligne Flam-Myrdal accomplit cette ascension en 20 km et 20 tunnels. On dit qu'il s'agit d'un véritable exploit d'ingénierie. Je le crois sans peine, à entendre les roues geindre sur le fer dans les virages étroits creusés dans la montagne.

Le trajet nécessite une heure. Notamment parce qu'on ne se presse pas. Il y a un hameau ici, avec son église. Une fermette là, avec ses chèvres. Tout le monde descend sur le quai, à mi-chemin, pour admirer Kjosfossen, une cascade particulièrement tonitruante.

Nous passons de tunnel en tunnel pour, chaque fois, constater que nous sommes toujours plus haut. Nous jetons un dernier regard sur la vallée de Flam avant d'arriver à Myrdal. Dommage. J'aurais bien continué.

Après cette ascension ferroviaire incroyable, le trajet entre Myrdal et Oslo pourrait paraître ennuyant. Heureusement, ce n'est pas le cas pour une bonne partie du trajet. C'est que la ligne principale s'amuse également à jouer les chèvres de montagne et monte jusqu'à plus de 1200 m, sur les hauts plateaux. Nous nous retrouvons dans un environnement presque arctique, avec végétation rabougrie, rochers ronds, étangs et glaciers près du sommet des montagnes.

Et maintenant, Oslo m'attend.

Oslo, avec ses innombrables musées. Oslo, avec son parc Vigeland, surprenante collection de 212 statues de bronze et de granit, tous des nus, qui illustrent les divers âges de la vie, les diverses émotions humaines. Et surtout Oslo, avec son opéra, une construction toute neuve, un gros cube de marbre blanc et de verre, posé sur l'eau comme un iceberg tabulaire, une nouvelle fierté pour les habitants de la capitale norvégienne.

Je n'ai pas fini de noircir les pages de mon carnet de notes.

Les frais de ce voyage ont été payés par Innovation Norway.

Repères

S'y rendre

Il n'y a pas de vol direct entre Montréal et la Norvège. Il faut donc transiter par une ville américaine ou européenne, à bord d'Air Canada et de SAS, pour se rendre à destination. J'ai atterri à Stavanger pour repartir d'Oslo, reliant les deux villes par une variété de modes de transport (bateau, train et autocar).

Se loger

Il existe plusieurs chaînes d'hôtels fiables en Norvège. J'ai logé dans des hôtels Rica, Thon et Clarion Collection, tous très bien situés. L'hôtel le plus original où j'ai logé: le petit Gudvangen Fjordtell, au toit couvert de végétation.

Se déplacer

Le programme Norway in a Nutshell de FjorTours est intéressant puisqu'il couvre les grands attraits du sud-ouest de la Norvège.

Photo: Marie Tison, La Presse

Le train de Flam grimpe 866 mètres sur 20 kilomètres.