Entre deux piliers de béton grossièrement colmatés, le surréalisme des robes d'Elsa Schiaparelli répond au modernisme d'un placard Le Corbusier: après trois ans d'imbroglio politico-juridique, le Musée du design et de la mode (MUDE) de Lisbonne sort enfin des caisses pour une avant-première.

Dans un édifice désaffecté de plus de 12 000 m2, siège de l'ancienne Banque nationale d'outre-mer, en plein coeur de la Baixa lisboète, 170 pièces emblématiques du design et de la mode du XXesiècle sont exposées jusqu'au 11 octobre.

 

Squelette de béton portant les stigmates de la démolition de ses luxueux aménagements, le bâtiment, autrefois symbole de la puissance de l'Empire portugais, n'a sauvé du temps de sa splendeur qu'un immense comptoir circulaire en marbre noir et vert, devenu élément central d'une mise en scène qui favorise le dialogue entre objets, époques et créateurs.

De part et d'autre du comptoir, la fonctionnalité épurée de la chambre d'étudiant créée en 1956 par le duo Perriand/Le Corbusier s'oppose à l'explosion de couleurs du sofa en peluches des jeunes designers brésiliens Fernando et Humberto Campana.

«Pour cette avant-première, nous avons sélectionné des pièces, non en fonction de leur valeur ou de leur rareté, mais en fonction de leur impact sur les mentalités, l'image du corps, la conception de l'habitat et la notion même de design», explique la directrice du MUDE, Barbara Coutinho.

Chaque espace est minutieusement scénarisé, contextualisé à l'aide de musiques, images ou films d'époque.

La chaise Classic de Hans Wegner (1949) est exposée face à un écran diffusant le premier débat télévisé Nixon-Kennedy de 1960 pour lequel elle avait été sélectionnée. Plus loin, le tailleur new-look de Christian Dior côtoie une Vespa «dans le même optimisme postguerre», explique le président du conseil de gestion du MUDE, Francisco Capelo, dont la collection achetée par la ville de Lisbonne en 2002 est à l'origine du musée.

Si l'exposition présente une infime partie de cette collection riche de 2500 créations des plus grands noms du design et de la mode, l'ouverture encore symbolique du MUDE constitue un «moment très spécial», reconnaît Barbara Coutinho, directrice d'un musée fantôme, depuis la fermeture «provisoire» en 2006 du premier musée du design de Lisbonne.

Depuis lors, le sort de la collection Capelo a fluctué au gré des changements politiques et en 2007, un premier projet d'installation tourne court, la vente de l'immeuble étant annulée en justice.

Aussi, quand en décembre 2008, la municipalité vote enfin l'attribution d'un bâtiment au MUDE avec l'objectif de redonner vie au coeur déserté de Lisbonne, Barbara Coutinho refuse d'attendre plus longtemps.

Sans calendrier pour des travaux de réhabilitation et redoutant de «nouvelles indécisions» en cette année électorale au Portugal, «nous avons opté pour une stratégie d'occupation de cet espace, décadent c'est vrai, mais qui nous émerveille chaque jour», explique en souriant la jeune femme à la détermination inébranlable.