Le coeur d'Ogunquit, destination prisée des Québécois, est un carrefour peuplé de vacanciers en bermudas, «gougounes» et robes soleil. Souverain au centre de cette joyeuse cohue aux effluves de crème solaire, le bar Front Porch s'affiche à l'étage d'un imposant immeuble blanc au style architectural qui évoque l'esprit suranné de la Nouvelle-Angleterre.

Attirés par le son du piano et les joyeuses voix qui entonnent All that Jazz, nous gravissons les marches qui mènent à ce mythique lieu, qui a connu d'innombrables soirées de bamboche.

Et nous voici catapultés dans un monde évocateur d'une folle époque où la colonie artistique en goguette se retrouvait sur les plages de la côte Est. Nul doute: le Front Porch est habité par un fantôme rétro qui se déploie dans un esprit de libertinage, les refrains d'Oklahoma et Funny Girl, avec le gin gimlet qui coule à flots...

Le soir de notre visite, les fêtards bronzés étaient des couples masculins, des femmes en solo, en majorité de plus de 50 ans, qui tous savent pousser la note et donner la réplique. Chics avec leurs vêtements de lin, leurs bijoux dorés et leurs sandales à talons, les clients s'agglutinent autour du grand piano blanc dont les commandes sont tenues par un pianiste qui verse dans l'humour gai et sait par coeur les essentiels de Broadway.

Un «espace de sécurité» pour la communauté LGBT

«Le Front Porch a ouvert au début des années 70. Ogunquit, qui à l'origine était un village de la ville de Wells, était à l'époque un repaire important pour la colonie artistique, du théâtre en particulier», relate Jason Morin, l'actuel gérant des lieux, l'un des derniers pianos-bars aux États-Unis.

«Le Front Porch est né de l'initiative d'esprits créatifs et a immédiatement attiré la communauté gaie et lesbienne, en raison de l'esprit de liberté de pensée et d'expression qui y régnait.»

Hors des grands centres comme New York ou San Francisco, l'homosexualité ne se vivait pas aisément au grand jour, dans les États-Unis de Richard Nixon et de Ronald Reagan, poursuit Jason Morin. Si bien que des bars comme le Front Porch ont vite été adoptés comme des «espaces de sécurité» pour la communauté LGBT américaine et ses amis vacanciers québécois. «Tout comme à Provincetown, au Massachusetts, Ogunquit a toujours été un environnement de tolérance et d'acceptation.»

Tout au long de ses premières décennies d'existence, le Front Porch réservait son rez-de-chaussée, maintenant devenu un restaurant, à sa clientèle féminine, alors que les hommes dominaient l'espace du piano-bar. Signe des temps et de l'intégration, le lieu est de nos jours fréquenté par une clientèle variée, hybride entre habitués qui reviennent chaque été et visiteurs issus de générations plus jeunes qui apprécient l'authenticité de l'endroit. Mais le lieu a gardé son je-ne-sais-quoi de fantaisiste, comme l'a démontré la statuesque transsexuelle en paillettes roses et chaussures plateformes, croisée à notre sortie du bar.

Les succès les plus demandés par le public du Front Porch ? All that Jazz, Old Cape Cod de Patti Page, Life is a Cabaret de Liza Minelli, les chansons de La mélodie du bonheur... 

Avec un Tom Collins ou un Long Island Iced Tea en main, c'est la façon parfaite de clore une journée à la plage.