Le sentier de la John Muir Trail, nommé d'après le célèbre écologiste, est considéré comme le plus beau des États-Unis. Il en est victime:  sa popularité a explosé au cours des dernières années. Les randonneurs qui l'arpentent au complet doivent décrocher de convoités permis, dont plusieurs sont attribués à la loterie. Nous l'avons parcouru.

Randonner sur la John Muir Trail, c'est plonger dans la diversité. C'est se retrouver au coeur de conifères surdimensionnés, d'innombrables lacs turquoise ou de pics acérés. C'est aussi être à la merci de la nature, incendies de forêt inclus. Récit.

Il est 4h du matin. L'alarme de la montre sonne. Vite, il faut sortir des sacs de couchage, défaire les tentes, plier bagage et engloutir le muesli. Il faut se mettre en marche avant que la fumée d'incendies de forêt environnants, dispersée durant la nuit, ne gâche les paysages paradisiaques en fin de matinée. Heureusement, l'enfer brûle, au plus près, à quelque 35 km de nous. Le feu épargne, en soi, les randonneurs.

Le sentier de la John Muir Trail (JMT) longe sur 338 km la chaîne de montagnes de la Sierra Nevada, en Californie. Il a la réputation d'être le plus beau sentier des États-Unis, ce qui est loin d'être surfait: ciel d'un azur profond, comme s'il avait reçu trois couches de couleur; lacs turquoise dans lesquels s'agitent les truites et se reflètent les montagnes; rivières limpides qui clapotent ou rugissent, comme un chant d'accueil; cols dénudés qui offrent une vue panoramique. Il s'étire dans un axe nord-sud, à partir du parc national de Yosemite jusqu'au sommet du mont Whitney. Il oscille entre 1000 m et 4400 m d'altitude, passant de forêts de conifères mixtes à de fragiles zones alpines.

Mais une sécheresse sévit en Californie depuis quatre ans. Pas de chance: à la fin du mois de juillet, la foudre a embrasé la forêt assoiffée à l'ouest du sentier. Or, la JMT est prisée en août, quand la météo est de bon augure et qu'il pleut rarement. Nous y étions. Cet incendie, nommé Rough Fire, brûle toujours et a déjà ravagé plus de 600 km2. Sa fumée se propagera sur plus de la moitié de la JMT, se joignant à celle d'autres incendies mineurs.

Au pire, la fumée masquait tout, tant la vue au-delà de 300 m que les parfums de la forêt. Elle jaunissait le ciel d'une lumière apocalyptique. Elle brûlait les yeux, irritait la gorge, agressait les poumons. Parfois, il neigeait, doucement, de la cendre.

Au mieux, elle ne parvenait pas jusqu'à nous. Ou le froid et l'humidité de la nuit la chassaient, laissant les matins clairs.

Certains randonneurs ont abandonné. D'autres ont enduré ou choisi de se lever plus tôt.

Sac sur le dos, lampe frontale sur la tête, nous voilà prêts. On respire à pleins poumons: l'air est libre de fumée. L'aube a chassé les étoiles. Du givre blanchit parfois les herbes au sol. La nature se réveille comme on avance. Les rayons de soleil inondent les environs. Un faucon passe. Une mésange zinzinule. Un tétras nous surveille. Une martre se faufile tandis qu'écureuils, tamias ou spermophiles s'activent. Oh! un ours noir a griffé l'écorce de ce pin!

Distinguera-t-on, parmi les blocs de granite en altitude, celui qui a quatre pattes? Il faut être très chanceux pour observer le mouflon de la Sierra Nevada, une espèce menacée. Une chose est certaine, on croisera des cerfs à queue noire.

On s'imagine un instant John Muir, célèbre naturaliste né en 1838 et devenu héros national. Il a parcouru la Sierra Nevada dans tous les sens. Il a connu le danger, le froid, la faim, la solitude. Pourtant, dans ses écrits, aucune place pour le drame. Seul subsiste son amour pour la nature. On se surprend ainsi à valoriser les incendies de forêt: ils aident notamment les incroyables séquoias géants à se reproduire, s'ils ne sont pas trop violents.

Chaque journée est différente. Nos semelles s'accrochent au granite de dômes vertigineux, dont le fameux Half Dome de Yosemite, et de crêtes aiguës. Elles s'empoussièrent dans le sable de vastes prairies ou se mouillent dans les ruisseaux. Elles s'abîment sur les roches de cols à plus de 3000 m, où se prélassent des marmottes à ventre jaune. Elles foulent des roches volcaniques trouées comme des éponges de mer. Elles ralentissent de ravissement devant la falaise de colonnes de basalte, à Devils Postpile. Elles arpentent des cimetières de cocottes de pins jaunes, grosses comme des ananas. Elles arrêtent alors que l'on discute avec de multiples randonneurs qui parcourent la JMT, des sentiers secondaires ou la Pacific Crest Trail, dont les 4500 km relient le Mexique au Canada. Des amitiés se tissent pendant que les bottes avalent les kilomètres.

Le soleil, lui, plombe chaque jour. Il cuit la peau. Les ruisseaux, rivières ou lacs forment autant de prétextes pour une pause: on s'y baigne, s'y trempe les pieds, y mouille son gilet. On y fait le plein d'eau.

Les lacs cristallins de la Sierra Nevada sont d'ailleurs reconnus comme des paradis pour la pêche à la truite. Ils ont été ensemencés dès le milieu des années 1800, d'abord par mules puis par avions. Plusieurs randonneurs ont ajouté à leur matériel ultraléger une canne à pêche. L'un d'eux affirme avoir pêché 80 poissons, tous remis à l'eau, en 25 jours sur la JMT!

C'est finalement un matin, du haut des 4421 m du mont Whitney, que l'on contemple le bout du monde. Et où nos yeux, las de la fumée, se noient une dernière fois dans cette beauté incomparable.

Photo Marie-Soleil Desautels, La Presse

Photo Marie-Soleil Desautels, La Presse

Qui est John Muir?

John Muir (1838-1914) est l'un des plus célèbres écologistes des États-Unis. Il est né en Écosse, mais sa famille a immigré lorsqu'il avait 11 ans, et il s'est établi en Californie dans la trentaine. À la fois explorateur, géologue, botaniste et vulgarisateur, il s'est porté à la défense de la nature. Il a entre autres incité le gouvernement à créer des parcs nationaux, dont celui de Yosemite en 1890. Il a aussi fondé le Sierra Club, devenu l'un des plus importants organismes de protection de l'environnement américains.

Organiser sa randonnée

Il y a mille choses à savoir pour parcourir les 338 km de la John Muir Trail. En voici quelques-unes.

Quand y aller 

Jusqu'en juillet, la neige encombre les cols et cache le sentier, tandis que les rivières sont dangereuses à traverser à gué, mais les conditions varient d'une année à l'autre. Les premières tempêtes de neige frappent en octobre. Le thermomètre s'affole en juillet et au début d'août, quand le soleil règne, et s'il pleut, ce sont en général des orages en après-midi. On évite juin pour fuir les moustiques et on préfère septembre pour jouir de la solitude.

Permis

Il est nécessaire de détenir un permis pour accéder à la JMT, et des quotas s'appliquent. Plus de neuf personnes sur dix parcourent la JMT du nord au sud, soit du parc national de Yosemite vers le mont Whitney. Cela favorise l'acclimatation à l'altitude. Les permis à partir de Yosemite couvrent la période du 1er mai au 31 octobre. Pour chacune de ces dates, 45 permis sont délivrés par jour pour traverser le col Donahue. Trente-cinq d'entre eux s'obtiennent par loterie six mois d'avance et les dix autres sont délivrés la veille du départ (premier arrivé, premier servi). Moins d'une demande sur dix gagne à la loterie. En 2014, 3460 personnes ont eu un permis pour la JMT à partir du parc national de Yosemite.

Du sud au nord, il faut décrocher l'un des permis pour accéder au mont Whitney et au-delà. Soixante permis par jour sont tirés au sort, du 1er février au 15 mars.

Si la chance n'est pas avec soi, on peut allonger la randonnée de 35 km en l'entreprenant au sud de Whitney, à partir de Cottonwood Lakes ou Cottonwood Pass. Les permis y sont faciles à obtenir, car on peut les réserver six mois d'avance (60 permis) ou les obtenir la veille du départ (40 permis). Ou alors, on ampute la partie du trajet dans Yosemite et on commence au sud du col Donahue.

Coût: les permis coûtent entre 5$ et 15$, selon l'endroit.

Ravitaillement 

Des points de ravitaillement existent le long de la JMT, où il est possible, par exemple, d'envoyer par la poste des chaudières de nourriture. À partir de Yosemite Valley (kilomètre 0), les plus populaires sont: 

• Tuolumne Meadows, au kilomètre 37

• Reds Meadow, au kilomètre 98

• Vermilion Resort, au kilomètre 144, plus un aller-retour de 5 km ou un traversier

• Muir Trail Ranch, au kilomètre 175

• Onion Valley Junction, au kilomètre 290, plus un aller-retour de 25 km en traversant le col Kearsarge

Mis à part le bureau de poste à Tuolumne Meadows, il faut payer pour faire transporter sa nourriture près du sentier. Par exemple, le Muir Trail Ranch demande 70 $US pour une chaudière de moins de 25 lb.

Ours

Il est obligatoire de conserver la nourriture dans des contenants à l'épreuve des ours dans plusieurs secteurs de la JMT. Seulement certains modèles sont autorisés. Les contrevenants s'exposent à des amendes et risquent d'être expulsés.

Références 

On partira avec l'ultraléger John Muir Trail Pocket Atlas, édité par Blackwoods Press. Celui-ci contient toutes les cartes topographiques du sentier, des cartes des villes environnantes, des renseignements sur les permis, les ravitaillements et les transports. Une mine d'or d'information qui tient dans 70g.

On se préparera en amont grâce au livre John Muir Trail, The Essential Guide to Hiking America's Most Famous Trail, d'Elizabeth Wenk.

Photo Marie-Soleil Desautels, La Presse