La Caroline-du-Nord n'est plus ce qu'elle était. Fini les champs de tabac qui poussaient à perte de vue. Les Marlboro, Lucky Strike, Liggett&Myers ayant toutes déserté l'État de la côte Est, les villages agricoles et les grandes villes ont opéré un virage à 180 degrés. Aujourd'hui, des quartiers désertés reprennent vie. Grâce à la bonne bouffe...

On dit que Durham ne se compare à aucune autre ville. Il y a quelque chose d'assez vrai dans cette affirmation. La municipalité, jadis le berceau des fabricants de cigarettes, ne tente pas de renier son passé. Les bâtiments qui abritaient les entreprises du tabac n'ont pas disparu, le panneau publicitaire d'Old Bull s'illumine toujours la nuit, l'emblème Lucky Strike reste affiché sur le réservoir d'eau en hauteur. Même la populaire équipe de baseball AAA, qui joue dans un stade survolté par 10 000 partisans, porte le nom des Bulls de Durham. Une marque de cigarette...

«Une des raisons pour lesquelles l'architecture est restée assez intacte, c'est que toutes les sociétés de textile et de tabac étaient la propriété d'hommes qui voulaient faire de l'argent, mais qui aimaient aussi la qualité. Ils ont donc construit ces bâtiments qui durent éternellement. En fait, ils ont "surconstruit" ces structures imposantes», explique Sam Poley, directeur du marketing de la ville de Durham.

Renaître de ses cendres

Pour ranimer le centre-ville délaissé par les cigarettiers vers la fin des années 80, plusieurs initiatives ont été mises de l'avant. Dans le quartier Brightleaf Square, la rue principale a été transformée en artère piétonnière tandis que les entrepôts de cigarettes ont été convertis en boutiques et restaurants.

Quelques rues plus loin, de jeunes entrepreneurs ont profité des loyers peu élevés pour s'installer dans l'ancien quartier manufacturier, aujourd'hui devenu un endroit qu'il faut absolument visiter à l'heure de l'apéro.

En face de la grande terrasse du Motorco, garage transformé en bar-spectacle, la brasserie Fullsteam est le parfait exemple d'un établissement qui a à coeur de relancer l'économie locale. C'est un endroit rempli d'ambiance qui donne envie de se mêler aux habitués.

Les propriétaires utilisent des ingrédients locaux et pour le moins originaux pour fabriquer leurs bières: des figues, des kakis et des patates douces, un ingrédient populaire dans la cuisine locale.

Sean Lilly Wilson, chef du Fullsteam, a l'ambition de créer des bières typiques du Sud. «Lorsqu'on parle des bières de la côte Ouest, elles sont houblonnées, agressives. De notre côté, on essaie de faire des bières que l'on peut boire en mangeant, qui s'accordent avec des mets et qui sont plus relaxes. Bien sûr, on veut qu'elles soient influencées par nos ingrédients locaux», explique le copropriétaire de l'établissement.

Leur souci du détail et leur volonté d'acheter des ingrédients locaux ont conduit les brasseurs vers plusieurs collaborations avec des chefs réputés de la région.

Photo Émilie Bilodeau, La Presse

Les usines de productions de cigarettes ont façonné les villes de la Caroline-du-Nord, mais elles font maintenant place à des boutiques et des restaurants.

Par exemple, la distillerie brasse une bière par saison pour le Fearrington (un des deux établissements membres de Relais&Château de la Caroline) en utilisant les ingrédients dénichés dans le potager de l'hôtel.

Elle a aussi conçu une cervoise à base d'avoine, de miel et de poivre noir pour accompagner le poulet frit, plat typique du Sud, au restaurant Beasley's Chicken+Honey, à Raleigh.

À la campagne

En ville comme à la campagne, le visage de la Caroline-du-Nord se métamorphose et Vivian Howard en sait quelque chose. Celle qui est au coeur de la nouvelle émission de télévision A Chef's Life, à PBS, a passé quelques années dans les cuisines de restaurants à New York avant de décider qu'il était temps de rentrer à la maison et d'encourager l'économie locale.

En ouvrant son restaurant Chef and the Farmer, il y a six ans à Kinston, elle a d'abord joint Warren Brothers, un ancien cultivateur de tabac. «Le tabac, c'était jadis une culture qui générait beaucoup d'argent. Mais les temps ont changé et les producteurs se tournent vers d'autres cultures. On voit qu'il y a réellement une économie émergente dans la région», reconnaît-elle.

Lorsque la chef et le fermier se sont rencontrés pour la première fois, ce dernier ne cultivait plus que des fleurs et des herbes médicinales. «Je pense qu'au début, je lui ai demandé des légumes que je voulais retrouver dans ma cuisine. Je pensais que la rhubarbe serait aussi populaire qu'à New York, mais j'ai dû me convaincre du contraire. À partir de ce moment, Warren a voulu prendre les choses en main et c'est lui qui décide maintenant ce qu'il fait pousser», dit-elle en riant.

Photo Émilie Bilodeau, La Presse

Signe que Kinston est en effervescence depuis quelques années, un nouveau restaurant, Ginger, et une grande brasserie, Mother Earth Brewing, ont vu le jour dans le petit centre-ville de la municipalité située entre l'océan et Raleigh. Vivian Howard a même ouvert un deuxième restaurant, le Boiler Room Oyster Bar, où elle continue d'encourager à la fois les producteurs locaux et les traditions de la région.

À preuve, le flotteur Pepsi et crème glacée aux arachides, servi comme dessert, qui fait référence à une collation autrefois populaire. En effet, les fermiers avaient l'habitude de verser leurs cacahuètes dans la boisson gazeuse pour éviter de toucher les arachides les doigts recouverts de tabac...