«Vous allez au mont Washington?» demande le douanier. On opine, même si ce n'est pas tout à fait vrai. On ne voudrait pas le contrarier, ou avoir à lui expliquer qu'on se dirige à quelques enjambées de là, au plus anonyme mont Adams.

Car dans la chaîne des Présidents, au New Hampshire, tous ne sont pas égaux. Comme les hommes politiques à qui ces sommets doivent leurs noms, une préséance bien établie existe. George Washington a été le premier président des États-Unis, John Adams le second. Le premier a donc donné son nom à la plus haute montagne de la région, et l'autre à la deuxième.

 

Mais dans le coeur de plusieurs randonneurs, l'ordre est bel et bien inversé. Ils vont au mont Adams profiter de points de vue tout aussi majestueux. Ils vont y braver une montée tout aussi sportive. Et surtout, ils évitent les hordes.

Le douanier nous laisse finalement passer. Après 3h30 de route depuis le départ de Montréal, nous arrivons dans le stationnement du magasin Lowe's, sur la US 2. Les marcheurs qui veulent emprunter le sentier principal pour le sommet du mont Adams doivent absolument y laisser leur voiture. Or, c'est jour de semaine, et le lieu est désert. La piste Lowe's, qui mène au sommet, le sera tout autant. Adams 1, Washington 0.

Une fois passé le charmant écriteau de bienvenue - «N'empruntez cette piste que si vous êtes en excellente forme physique. Plusieurs sont morts au-dessus de la ligne des arbres» - les sacs sont soudainement plus lourds. Puisqu'on va coucher dans un refuge planté tout là-haut, il faut un minimum de matériel. Et ça pèse.

La montée de 6 km commence tout en douceur, dans une forêt en faux plat qui se rend au pied des montagnes. Au tiers du parcours, elle se corse, devient abrupte. Mais dès le premier point de vue, à la quatrième borne, la sueur est récompensée: on voit vers le nord vals et vallons à l'infini.

Rendus au sommet, on distingue les cimes présidentielles. La vue est à couper le souffle, et elle n'est que pour nous. En regardant au sud, on aperçoit Washington. On distingue l'observatoire qui y a été construit, on devine le casse-croûte où on vend du Coke, et le stationnement plein de voitures. Adams 2, Washington 0.

De retour sur nos pas, le soleil se couche. C'est à la lampe frontale qu'on gagne le refuge. Dans le petit village de Randolph, situé sur la US 2 en bas, on aime dire que ces refuges, et les sentiers du nord de la Chaîne présidentielle, «sont le secret le mieux gardé des White Mountains».

Deux refuges

L'humble Randolph Mountain Club (RMC) a réussi à percher sur le mont Adams deux refuges - le petit Gray Knob et le plus imposant Crag Camp. Ils sont ouverts toute l'année. Le plus petit est chauffé pour maintenir la température à 0º Celsius. Mais à Crag Camp, où l'on couche, il n'y a pas l'ombre d'un poêle à bois. Un sac de couchage d'hiver est donc nécessaire, à partir de la fin octobre, jusqu'à l'été.

Le RMC n'est pas comparable à l'Appalachian Mountain Club, qui lui aussi officie dans la chaîne des Présidents. À Randolph, on utilise rarement les hélicoptères. C'est lors d'une corvée, à dos d'hommes, que la corde de bois du refuge Gray Knob a été hissée.

«Si vous venez l'hiver, vous pouvez apporter une ou deux bûches, lance la gardienne des refuges. C'est très apprécié!» Les gardiens du RMC vivent au sommet à longueur d'année, pour recueillir les frais de refuge (12 $US par soir), entretenir les lieux, et participer aux rares missions de secours.

Elle explique qu'en semaine, les deux refuges sont presque déserts. La fin de semaine, jusqu'à une trentaine de marcheurs s'entassent dans chacun d'eux. Le soir où nous dormons à Crag Camp, il n'y a que nous dans le chalet de 800 pieds carrés. Nous pouvons donc manger et parler jusqu'à tard sans craindre de déranger les lève-tôt. Adams 3, Washington 0.

Le lendemain matin, il neige au refuge. Nous redescendons la montagne de 1760 mètres. Washington en fait 100 de plus, accordons-lui un point pour ça... Mais pour le reste, le mont Adams, ses sentiers et ses refuges n'ont rien à envier au doyen des lieux.

Au retour, au poste-frontière de Stanstead, le douanier québécois ne nous demande même pas d'où nous venons. Il regarde notre petite voiture, nos airs hagards, nos polars et nos tuques, puis, fier de sa clairvoyance, lance: «Vous venez du mont Washington, c'est ça!»

Oui, c'est ça...

 

Adams en hiver

Le mont Adams est accessible toute l'année. L'hiver, le sentier Lowe's se parcourt avec de bonnes bottes. Sauf au lendemain d'une grosse bordée, les raquettes ne sont pas conseillées. Des crampons sont parfois utiles au-dessus de la ligne des arbres, et il est donc recommandé d'en traîner dès la minovembre. Les refuges sont ouverts tout l'hiver, mais seul Gray Knob est chauffé... autour de 0º Celsius ! Ne pas s'y aventurer sans un bon sac de couchage.