Coincé entre l'Alaska et les Territoires du Nord-Ouest, le Yukon est une contrée essentiellement sauvage. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. La ruée vers l'or a attiré des milliers de pionniers sur le fleuve Yukon, laissant ici et là les traces d'un rêve qui semble aujourd'hui bien oublié...

Un ancien glissement de terrain a laissé une grande cicatrice blanche sur la colline qui surplombe Dawson City, au Yukon. À la faveur des méandres du fleuve Yukon, on l'aperçoit bien avant de voir la petite ville elle-même.

Pour les chercheurs d'or de la grande ruée de 1898, qui arrivaient alors en radeau, il s'agissait d'un signe particulièrement bienvenu. Après des mois à braver les éléments dans le cadre d'un dangereux périple, ils touchaient enfin au but, l'or du Klondike.

Aujourd'hui, les pagayeurs ressentent également une émotion certaine à la vue de cette balafre, appelée Moosehide Slide. Certains ont parcouru 734 km en canot depuis Whitehorse. D'autres ont réduit la durée du voyage en partant du village de Carmacks. Il s'agit quand même encore d'un voyage de 416 km.

Sur le fleuve, le paysage est joli, sans être particulièrement spectaculaire: le Yukon coule dans une large vallée et les collines ne sont pas très élevées.

On y trouve une faune abondante, mais rien de bien exotique pour un canoteur québécois: des ours, des orignaux, des castors, des pygargues à tête blanche, des porcs-épics.

Ce qui fait vraiment la saveur d'une randonnée de canot-camping sur le Yukon, ce qui rend cette aventure unique, c'est son caractère historique. Des milliers de chercheurs d'or ont parcouru ce fleuve, ont campé sur ses berges, ont exploré ses affluents à la recherche des précieuses paillettes de métal jaune.

Plus tard, à l'époque de la navigation par bateaux à aubes, des villages ont surgi, puis disparu. De nombreux vestiges gisent ici et là, peu à peu cachés par la végétation, mais prêts à être redécouverts.

Il suffit de se munir d'un bon guide du fleuve Yukon, comme celui de Mike Rourke. Ce petit bouquin n'est malheureusement offert qu'en anglais, mais les cartes sont claires, faciles à utiliser et elles indiquent les sites potentiels de camping.

Il faut aussi revoir ses habiletés en canotage. Le fleuve a un courant assez rapide, il faut donc être à l'aise. Un peu au nord de Carmacks se trouvent deux ensembles de rapides, Five Fingers et Rink, mais il s'agit essentiellement de gros bouillons qu'il est facile de négocier si on suit la route recommandée par M. Rourke (passer à l'extrême droite!).

Il suffit ensuite de louer des canots à Whitehorse auprès d'entreprises comme The Kanoe People et UpNorth, d'acheter un permis de pêche au Canadian Tire du coin, de se procurer un vaporisateur anti-ours pour dissuader les grosses bêtes trop entreprenantes et l'aventure peut commencer.

Partir de Carmacks permet d'éviter le lac Laberge, un plan d'eau reconnu pour ses vents parfois violents. Cela signifie toutefois qu'il faut renoncer aux nombreux vestiges qu'on retrouve sur ses rives et à une section particulièrement spectaculaire du fleuve, au sortir du lac.

Heureusement, il y a encore beaucoup de sites historiques entre Carmacks et Dawson City, à commencer par Fort Selkirk, un ancien comptoir de la Compagnie de la Baie d'Hudson installé en 1852. Attaqué presque immédiatement par les autochtones locaux, les Tlingit, il a été abandonné, puis recréé 40 ans plus tard. Lorsque la navigation fluviale a cessé au milieu des années 50, en raison de la construction d'une route, le comptoir a été abandonné définitivement, comme le petit village qui s'était formé autour.

Le gouvernement du Yukon a entrepris de rénover une bonne partie des bâtiments encore en place. Cela permet de prendre de jolies photos, mais en réalité, il est beaucoup plus intéressant d'aller explorer les bâtiments qui n'ont pas encore été restaurés. Un vieux pantalon de travail pendouille sur le mur à l'intérieur d'une masure, un prélart fleuri orne l'ancienne cuisine au deuxième étage de la petite église catholique St. Francis-Xavier, une vieille bouilloire trône sur le coin d'une table bancale.

À l'époque, les murs étaient souvent isolés avec de vieux journaux. En regardant bien, on distingue ainsi le numéro du 13 février 1900 du Mail and Empire (l'ancêtre du Globe and Mail) et le numéro du 26 octobre 1904 du Montreal Daily Star. La lecture des annonces est particulièrement fascinante: on fait une grande place aux élixirs et autres remèdes miraculeux.

Le passé fait encore entendre sa voix dans l'île Ogilvie. Le fondateur de Dawson City, Joseph Ladue, y avait installé une scierie à l'époque de la ruée vers l'or. On y avait également établi un magasin, un télégraphe, des fermes. Il ne reste plus que quelques vestiges.

L'histoire naturelle du Yukon n'est pas en reste. Entre Fort Selkirk et l'île Ogilvie, des colonnes de basalte surplombent le fleuve. Elles pourraient avoir été formées, il y a fort longtemps, lorsque de la lave provenant d'un volcan voisin est entrée en contact avec des glaciers qui couvraient alors une partie du Yukon.

L'arrivée à Dawson City ramène les canoteurs à un temps plus récent: 1898. Sous Moosehide Slide, ils discernent peu à peu le clocher d'une église, l'historique Yukon Hotel, puis la vieille Canadian Imperial Bank of Commerce et l'un des derniers bateaux à aubes à avoir navigué sur le Yukon, le Keno, maintenant bien installé sur la berge.

C'est le temps d'accoster, de décharger les canots, et d'aller parcourir les trottoirs de bois de Dawson City pour s'imprégner de l'atmosphère de la ruée vers l'or.

La petite histoire d'une grande ruée

C'est en août 1896 que George Carmack, Skookum Jim et Dawson Charlie découvrent de l'or aux abords du ruisseau Bonanza, un affluent de la rivière Klondike, au Yukon. Il s'écoule plus d'un an avant que la nouvelle atteigne le monde extérieur et déclenche une ruée vers l'or. Selon les évaluations des historiens, plus de 100 000 personnes se précipitent vers le Yukon. Environ 30 000 ou 40 000 se rendent à destination et seulement 4000 prospecteurs trouvent de l'or. Au printemps 1898, la population de la ville de Dawson atteint plus de 30 000 personnes. La ruée change de direction à l'été 1899 quand de l'or est découvert à Nome, en Alaska. Entre 1896 et 1899, la région du Klondike génère environ 29 millions de dollars d'or, une fortune pour l'époque.