En juin 1908, un éditeur de Boston publiait le premier roman d'une jeune femme vivant à l'Île-du-Prince-Édouard: Anne of Green Gables de Lucy Maud Montgomery. Ce classique de la littérature jeunesse canadienne s'est vendu à plus de 50 millions d'exemplaires à travers le monde et a été traduit en une trentaine de langues. À l'occasion du centenaire de sa publication, virée sur les lieux qui ont vu vivre Anne et Maud.

Anne of Green Gables de Lucy Maud Montgomery n'avait pas encore été traduit en français et n'était donc pas encore devenu Anne... la maison aux pignons verts quand une amie m'a mis le roman entre les mains.

Elle trouvait que j'avais beaucoup en commun avec la petite orpheline rousse, dont le désir fou de gagner ma vie en écrivant et l'incident: Anne, très enrhumée, avait utilisé du liniment analgésique à la place de la vanille pour parfumer un gâteau, car elle n'avait pas senti la différence entre les deux «ingrédients». Or il se trouve que je n'ai pas d'odorat et que le genre d'erreur commise par Anne m'est arrivé... à plus d'une reprise.

Anne et moi étions donc de ces âmes soeurs si souvent évoquées dans Anne of Green Gables, que j'ai dévoré - un dictionnaire anglais/français à mes côtés.

Bref, j'ai failli sauter et crier de joie quand ce reportage m'a été proposé. Mais, bon... je sais maintenant contenir mes élans. J'ai vieilli. Contrairement à ma rouquine préférée, même si elle célèbre ses 100 ans.

C'est en effet en juin 1908 que Lucy Maud Montgomery a été publiée, après avoir essuyé cinq refus. Un éditeur de Boston a vu le potentiel des aventures de la fillette adoptée par Matthew et Marilla Cuthbert, qui cherchaient en fait à accueillir un garçon pour les aider à la ferme. Il n'a pas fallu longtemps pour qu'Anne les séduise. Comme elle a séduit des millions d'enfants, et leurs enfants, petits-enfants, etc.

Pas surprenant si, du million de touristes qui visitent annuellement l'île (parmi lesquels un nombre non négligeable de Japonais, chez qui Anne est une star), le quart visite au moins un des lieux ayant un lien avec l'oeuvre de Lucy Maud Montgomery.

Jour 1

Le monde d'Anne, le village d'Avonlea, existe... mais c'est une reproduction de celui du roman. Le «vrai» Avonlea, près duquel a poussé le «faux», s'appelle Cavendish et se trouve dans le parc national de l'Île-du-Prince-Édouard. C'est là que Maud a grandi, élevée par ses grands-parents après la mort de sa mère quand elle avait 2 ans.

Elle n'a pas vécu dans la maison aux pignons verts mais elle la connaissait bien: elle appartenait à de vieux cousins et était située près de celle où elle habitait. De cette dernière, où elle a écrit Anne... la maison aux pignons verts, il ne reste que les fondations. C'est déjà plus que l'école où allait la future romancière et qui lui a servi de modèle pour celle que fréquente Anne: le bâtiment a disparu, son emplacement est indiqué par un panneau. Mais je jure y avoir entendu le cri d'Anne quand Gilbert Blythe l'a traitée de «Poil de carotte»!

Ce n'était que le début d'un voyage fantastique. Pour se rendre de l'école à Green Gables - qui, elle, est parfaitement conservée - il faut marcher à travers la forêt hantée où aimait se promener Maud, qui en a fait un des lieux bien-aimés d'Anne.

Petite promenade et soudain, elle est là. La maison aux pignons verts. Entourée du verger où Anne, devenue adulte, épousera Gilbert. De l'extérieur, plus petite que celle que j'avais rêvée, mais si grande à l'intérieur! Pleine de coins et de recoins, de pièces autour de l'escalier menant à la chambre du pignon, celle d'Anne! Son petit lit, la table sur laquelle fleuri un géranium (serait-ce Reine des Neiges qui aurait survécu jusqu'à aujourd'hui?), la fenêtre donnant sur le vieux pommier. Pourquoi ces larmes qui me montent aux yeux, là?

Besoin d'un peu d'air frais, la fille! Je le trouve sur le chemin des amoureux, tout près. Les oiseaux y roucoulent, les bouleaux et les peupliers y entrelacent leurs branches, les ruisseaux y gazouillent. N'y manquent que les amoureux!

Dernier arrêt de la journée: le cimetière. Celui où Maud a imaginé que Matthew reposerait et où Anne se réfugierait pour «parler» à son vieux complice. Ce cimetière, c'est aussi celui du dernier repos de Lucy Maud Montgomery. Sa tombe est facile à reconnaître. Elle est plus fleurie que les autres. Et il y a toujours quelqu'un penché sur elle.

Jour 2

Direction New London, vers la maison où est née Maud. L'écrivain en moi a filé au septième ciel en voyant les lettres écrites de sa main. La romantique, elle, est tombée en arrêt devant la robe de mariée de la romancière. Enfin, la maman est restée un moment, émue, devant la chambre où est née l'écrivaine.

Quelques kilomètres plus loin, Park Corner. Et Silver Bush, cette maison que Maud a tant aimée, qui appartenait à son cousin Donald et qu'elle avait surnommée «le château des merveilles de mon enfance». Devenu le Anne of Green Gables Museum, le domaine - sur lequel se trouve le lac aux Miroirs qui avait tellement chaviré Anne à son arrivée à Avonlea - appartient à un petit-petit-cousin de Maud, George Campbell.

Chaque année, des couples viennent s'y marier (après tout, c'est là que Maud a uni son destin à celui du pasteur Ewan Macdonald). Elle y a aussi écrit quatre de ses livres, et s'en est inspirée pour certains des détails qui «meublent» Anne... la maison aux pignons verts. La fameuse armoire où la rouquine, alors maltraitée par une de ses premières familles adoptives, se mirait, imaginant que son reflet était une autre petite fille, c'est là qu'on la trouve! Ça ne vaut pas un petit serrement au coeur, ça? Je m'en suis permis un gros. Juste avant d'aller évacuer le trop-plein d'émotion sur la Cousins Shore Road qui mène à une des plages rouges de l'île, bordée de dunes où Maud aimait s'installer pour écrire. J'ai fait de même.

Jour 3

Certains des «lieux» d'Anne sont moins... officiels que d'autres. Par exemple, impossible de savoir de manière précise où se trouve la gare de Bright River, où Matthew vient chercher l'orpheline. Chacun semble avoir sa théorie sur son emplacement. Par contre, celle de Kensington, toute de pierre et bordant la piste cyclable de la Confédération, offre un intérêt indéniable: Maud y a, à l'âge de 15 ans, croisé le premier ministre canadien John A. Macdonald - qu'elle caricature, sans le nommer, dans Anne... la maison aux pignons verts.

Même imprécision quant à l'école de Summerside, où Anne enseigne pendant les trois ans où Gilbert étudie la médecine (Anne et le domaine des Peupliers). Mais notre route traversant Summerside, nous y avons fouiné un peu. Miracle ou coïncidence, j'y ai trouvé une Poplar Road! Une rue des peupliers, au bout de laquelle se trouve une petite école. Rien à voir avec les descriptions du livre, qui parle d'un chemin des Revenants (je vous laisse deviner ce que l'imagination d'Anne et la mienne ont pu faire avec ça!), mais un arrêt sympa quand même... avant d'arriver à Borden-Carleton, où se pose l'impressionnant pont de la Confédération.

Juste à côté, le Anne of Green Gables Store de Jeannette Arsenault et Don Maxfield. On y est accueillis par la seule statue d'Anne au monde, chapeau de paille et cheveux nattés, robe et tablier à volant, panier d'osier au bras et bottines aux pieds. À l'intérieur, on peut acheter tout ce qui s'appelle «souvenir de l'île» mais aussi, des figurines faites sur place qui illustrent les moments clé du roman. Et puis, pourquoi pas un souvenir personnalisé? Une photo prise dans un costume d'Anne ou de Gilbert... Quelque 15 000 personnes se prêtent annuellement à l'expérience. Bernard et moi avons résisté à cette tentation-là. Peut-être par manque de temps.

Nous étions attendu au Confederation Centre of the Arts de Charlottetown pour une représentation d'Anne of Green Gables - The Musical. Chaque été depuis 44 ans, cette charmante comédie musicale (le spectacle du genre le plus ancien au pays) enchante les touristes. À un point tel qu'il y a trois ans, une autre a été créée à Summerside, Anne and Gilbert.

C'est bien simple, un jour de plus et je suis sûre que Bernard devenait un fan d'Anne et de Maud! Mais, emploi du temps oblige, nous avions des adieux à faire à une île aussi rousse de terre que sa célèbre habitante l'est de cheveux, et un avion à prendre. Dans lequel j'ai relu mes passages préférés d'Anne... la maison aux pignons verts. Oui, l'épisode du gâteau raté en fait partie.

Repères

> Il est facile d'organiser un voyage sur les traces d'Anne et de Maud en consultant le site www.gov.pe.ca/visitorsguide/index.php3? number=1009872. On y regarde une présentation faite par le Dr Elizabeth Epperly, une spécialiste mondiale de l'oeuvre de Lucy Maud Montgomery qui, ensuite, suggère un circuit de trois jours qui mène dans les endroits clés qui ont vu naître et évoluer le personnage et sa créatrice.

> Outre l'émission d'un timbre spécial, le 100e anniversaire d'Anne of Green Gables se fêtera, et plus d'une fois, dans l'île! Tous les détails des événements se trouvent sur le site www.anne2008.com. Jeannette Arsenault, copropriétaire du Cavendish Figurines Store, est la présidente du comité organisateur et elle connaît mieux que personne les incontournables et les plus inusités des événements. Lui poser quelques questions peut s'avérer très éclairant. Mais notons quand même

> Ice Cream and Pigtails: Gilbert Blythe, on s'en souvient, a tiré les tresses rousses d'Anne et l'a traitée de Poil de carotte. Anne a riposté, comme il se doit, en cassant son ardoise sur la tête... de celui qui, des années plus tard, est devenu son mari. Qui aime bien, châtie bien. Sauf que dans son présent, à cause de son impulsivité, Anne a failli rater le pique-nique où elle allait pouvoir goûter à de la crème glacée! Jusqu'au 26 septembre, pourquoi ne pas revivre cet événement, à la gare de Summerside, où Anne et Marilla accueilleront les visiteurs?

> Looking for Anne: une petite exposition bilingue qui fait le point entre la réalité (de Maud) et la fiction (d'Anne), qui se tient à Green Gables même, jusqu'au 30 novembre.

> L.M. Montgomery Lower Bedeque School: jusqu'au 31 août, le village de Lower Bedeque, près de Summerside, offre aux visiteurs l'occasion de découvrir ce qu'était l'école dans les années 1890. Sérieux: en franchissant la porte de cette école, on se retrouve dans une leçon donnée par Lucy Maud Montgomery - qui, oui, a été institutrice.

> Matthew and Marilla's Cuthbert Reunion: le 17 août au port de Summerside, Anne, Matthew et Marilla recevront des Cuthbert du monde entier... mais tout le monde est bienvenu, surtout ceux qui portent un costume d'époque.

> L.M. Montgomery's Birthday: l'événement se tiendra le 30 novembre au «faux» village d'Avonlea, dans le «vrai» village de Cavendish. Une fête qui clôturera les événements entourant le 100e anniversaire d'Anne. Kleenex facultatifs mais fortement conseillés.

> Les spectacles musicaux Anne of Green Gables, tout simplement a-do-ra-ble (www.confederationcentre.com) et Anne and Gilbert (www.AnneAndGilbert.com).

À lire

La série Anne, publiée chez Québec Amérique: Anne... la maison aux pignons verts, Anne d'Avonlea, Anne quitte son île, Anne au domaine des Peupliers, Anne dans sa maison de rêve et Anne d'Ingleside.

Looking for Anne - How Lucy Maud Montgomery Dreamed Up a Literary Classic, d'Irene Gammel, Key Porter Books.

Green Gables - Lucy Maud Montgomery's Favorite Places, de Deirdre Kessler et Martin Caird, Formac Publishing.