Tandis que le train s'approche de Craigellachie, la fébrilité monte. Dans le wagon, les passagers sont debout. Ils préparent leurs appareils photo. Pas que l'endroit soit particulièrement spectaculaire. Mais dans un voyage touristique nommé «Premier passage vers l'Ouest», là où le dernier crampon de la ligne de chemin de fer pancanadienne a été enfoncé revêt un caractère spécial... Et à bord du Rocky Mountaineer, l'histoire s'allie à merveille aux paysages époustouflants.

Nous avons quitté Vancouver hier matin à bord du Rocky Mountaineer. La compagnie ferroviaire privée propose des voyages touristiques depuis une vingtaine d'années, d'avril à octobre. En tout, elle offre quatre parcours de base et une bonne quarantaine de formules, comme des tournées de train jumelées à des voyages de golf; des dégustations de vin dans la vallée de l'Okanagan; ou une formule populaire auprès des Australiens: une croisière en Alaska.

«First Passage to the West» est un voyage de deux, trois, quatre ou cinq jours; la portion «train» ne dure que deux journées. Il est possible de faire le voyage à partir de Banff. Dans notre cas, la première journée nous emmène de Vancouver à Kamloops, où les passagers passent la nuit à l'hôtel. Le lendemain, on quitte Kamloops tôt le matin pour se rendre à Banff.

Des lieux comme Craigellachie nous font retourner dans le temps: enfoncé en novembre 1885, le dernier crampon a mis un terme à une saga intimement liée à la création du Canada. L'année suivante, le 28 juin 1886, le premier voyage transcontinental officiel partait de Montréal, à la gare Dalhousie angle Notre-Dame et Berri, et pour arriver sur la côte Ouest six jours plus tard.

Le rêve d'une vie

Mais bien avant l'histoire canadienne, c'est pour les paysages que la plupart des passagers font le voyage. À bord, les Canadiens sont en minorité: la plupart des passagers sont venus de l'Allemagne, des États-Unis, de l'Australie... «J'habite au New Jersey, lance une femme d'environ 70 ans croisée dans un corridor. Venir à bord du Rocky Mountaineer était l'un de mes plus grands rêves. C'est beau, hein?»

Il faut dire que notre wagon se prête à la contemplation. Nous parcourons quelque 1000 km du voyage en Gold Leaf, le service haut de gamme. Notre voiture a deux étages. Au deuxième, les sièges sont alignés comme dans un train conventionnel, mais les murs et les plafonds sont presque entièrement vitrés. Une petite boutique, les toilettes, les cuisines et la salle à manger sont au premier, en plus d'un petit espace extérieur, d'où on peut prendre l'air et des photos.

Les wagons des deux autres catégories, Red Leaf et Silver Leaf, n'ont qu'un seul étage, pas de plafond vitré et les passagers mangent à leur siège.

Évidemment, le luxe et le confort ont leur prix: un siège Gold Leaf, surtout quand il est jumelé à la formule Fairmont Deluxe, peut coûter jusqu'à deux fois plus cher que le Red Leaf.

Avec une facture qui atteint rapidement 1000$ ou 1500$ pour le Red Leaf (en basse saison) et un séjour éminemment passif et réglé au quart de tour, pas étonnant, toutefois, que les passagers de moins de 50 ans demeurent une rareté à bord... D'autant plus que lors de notre séjour, la qualité de la nourriture et du vin n'a pas semblé à elle seule justifier la dépense.

Enfin, les Rocheuses

Croisé au début de la deuxième journée, le monument de Craigellachie annonce aussi l'approche des Rocheuses. La première journée a surtout été passée à longer le canyon accidenté du fleuve Fraser et à traverser des plateaux plus arides menant à la vallée de l'Okanagan. «Je suis vraiment contente que le paysage soit aussi beau aujourd'hui. J'avoue qu'hier, j'étais un peu déçue», confie une autre touriste américaine à voix basse.

Comme de fait, les passagers restent de moins en moins assis, à mesure que les montagnes se font de plus en plus hautes et escarpées, l'eau, de plus en plus turquoise, et que l'on s'approche des fameux tunnels en spirale qui traversent les mastodontes de roc.

À l'heure du dîner, deux Australiens interrompent la conversation toutes les 30 secondes pour prendre une photo d'un nouveau point de vue, tandis que l'on traverse la splendide passe de Rogers. «Nous avons pensé faire le parcours en voiture, mais c'était plus compliqué, disent-ils. Et puis, nous n'aurions pas pu nous faire conduire et nous empiffrer de nourriture et de vin comme on le fait en ce moment!»

À partir du village de Golden, à peu près tout le monde est debout. Les rails longent l'eau turquoise des rivières Columbia et Kicking Horse. Dans les bateaux de rafting, les touristes envoient la main à ceux du train, et vice versa.

«Majestic!»

Ça fait presque 15 heures que la grosse locomotive de 3000 chevaux tire la quinzaine de wagons derrière elle, lorsque le train ralentit à l'approche des tunnels en spirale. C'est l'un des points forts du voyage, l'une des raisons pouvant justifier le choix du chemin de fer plutôt que la route - qui peut très souvent, il faut le dire, être tout aussi spectaculaire.

Lors du premier passage, il y a plus de 125 ans, il fallait ici traverser un tronçon pourvu d'une dangereuse inclinaison. Ç'a pris 20 ans et quelques accidents aux ingénieurs du CP pour trouver, en Suisse, la solution à leur problème. Un millier d'ouvriers se sont mis au travail et près de deux ans plus tard, un demi-million de mètres cubes de roche avaient été excavés et une nouvelle portion du passage vers l'Ouest était créée.

Comme leur nom l'indique, les rails tournent à l'intérieur de ces tunnels, si bien que quand on en sort, les montagnes et les glaciers qui étaient à notre gauche sont maintenant à notre droite... «Majestic!», murmure un Allemand, les yeux gros comme des balles de golf.

Les tunnels en spirale marquent aussi la fin du voyage. À partir du passage de Kicking Horse, à 1600 m d'altitude, on descend tranquillement à travers les derniers paysages à couper le souffle, jusqu'à la petite gare de Banff, où les passagers partent chacun de leur côté, non sans avoir échangé moult poignées de main, remerciements et chaleureux souhaits de bon voyage...

Pour notre part, un autocar nous attend pour prendre la direction du Fairmont Château Lake Louise. Difficile d'imaginer fin plus appropriée pour le voyage: le luxueux hôtel entouré de glaciers et d'eau turquoise a été bâti en 1890 par nul autre que... William Cornelius Van Horne. C'est lui qui dirigeait le CP lorsque le dernier crampon du chemin de fer pancanadien a été enfoncé.

Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par Rocky Mountaineer (www.rockymountaineer.com).

Repères

Combien ça coûte?

Forfait «First Passage to the West» (5 jours et 4 nuits, dont deux jours en train et une journée à Banff ou à Lake Louise)

Service RedLeaf: 1629$*

Service GoldLeaf: 2759$*

*En basse saison

Les itinéraires

Rocky Mountaineer offre quatre itinéraires principaux: «Whistler Sea to Sky Climb», une randonnée d'une journée qui part de Vancouver; «Journey through the Clouds», de Vancouver à Jasper, en passant par Kamloops; «Rainforest to Goldrush,» de Vancouver à Jasper également, mais en passant cette fois-ci par le Nord de la Colombie-Britannique (près de Prince-George); et «First Passage to the West».

Le français à bord

L'anglais est la langue principale à bord du Rocky Mountaineer, mais certains membres de l'équipage comprennent et parlent aussi le français.

Autres entreprises

Rocky Mountaineer a démarré il y a 20 ans, lorsque la société privée a acheté la division touristique de Via Rail. La société d'État offre toutefois toujours un service transport de passagers à travers les Rocheuses; mais il s'agit d'un transport régulier, sans coupole panoramique. Le Royal Canadian Pacific offre pour sa part quelques voyages de luxe. Un itinéraire de sept jours à travers les Rocheuses à bord d'un wagon des années 20 peut coûter près de 10 000$.