Joëlle Choquette et Iouri Philippe Paillé, auteurs du site Ciao-Bye, ont tout quitté pour partir à l'aventure quelques mois. Ce couple de jeunes trentenaires, qui travaillait dans le milieu publicitaire, raconte son voyage, une escale à la fois. Deuxième arrêt : le marché flottant de Cai Rang.

Il est 5 h du matin quand, les yeux encore gonflés de sommeil, on saute dans une barque à moteur modeste accompagnés de Thuy, un jeune guide sympathique. Ce dernier insiste pour qu'on mange avant de partir. Il nous remet une assiette remplie de petites bananes bien mûres que l'on accepte.

On quitte la ville de Can Tho dans l'obscurité totale en direction du marché flottant de Cai Rang. Le bruit du moteur et les lumières des rives sont nos seuls repères sur les eaux noires du Mékong. Tandis que les premières lueurs du jour commencent à teinter subtilement le ciel, on fait un premier arrêt dans un lieu surréel : une station d'essence flottante. Un commis se lève du hamac où il roupillait encore et remplit d'essence les quelques bouteilles de plastique vides que lui remet notre guide.

Une heure plus tard, on atteint enfin le marché qui roule déjà à plein régime. Naïvement, on demande à Thuy s'il est possible d'acheter un ananas à une marchande dont le bateau doit bien en contenir des centaines. Il nous explique, sourire en coin, que le Cai Rang est une destination pour les grossistes et que ce sont les commerces et restaurants qui y achètent leurs fruits et légumes. Donc, pas d'ananas pour nous !

En plus d'amuser notre guide, cette question a pour effet de l'inquiéter sur notre niveau de satiété. Il sort de son sac une mangue bien juteuse, qu'il coupe avec soin, puis s'empresse de nous en offrir des morceaux, qu'on ne peut évidemment pas refuser.

Au coeur du marché, on peine à se frayer un chemin entre les bateaux des touristes et ceux des marchands qui s'entassent et s'abordent autour de nous. Pas de doute, le tableau est bien vivant !

Les transactions sont rapides et efficaces, les mêmes gestes étant, de toute évidence, répétés des dizaines de fois chaque jour.

On attrape aussi au passage des bribes de routines matinales, totalement décomplexées.

En équilibre sur la poupe du bateau, un petit garçon nettoie sa brosse à dents dans un seau d'eau, tandis que sa mère négocie énergiquement le prix de ses pastèques à l'autre bout de l'embarcation. Un peu plus loin, une dame étend son linge fraîchement lavé à l'arrière alors que son mari aborde des acheteurs.

UNE LUMIÈRE IDÉALE

L'odeur du café et des Bánh mì au porc préparés sur une petite barque non loin parfume l'air d'arômes appétissants. Thuy nous annonce qu'il est maintenant l'heure de déjeuner, encore.

On lui répond qu'on préférerait continuer à prendre des photos alors que la lumière est idéale. Il acquiesce, compréhensif. Quelques minutes plus tard, sans doute troublé par notre manque d'appétit, il achète tout de même deux Bánh mì frais qu'il nous tend avec un sourire, fier de son coup. L'appétit vient en mangeant ? La baguette est fraîche et le porc, croustillant. C'est délicieux !

Entre deux bouchées de Bánh mì, Thuy nous dit que le marché flottant de Cai Rang est voué à disparaître.

Le supermarché de Can Tho, avec ses prix compétitifs et son accès facile, menace cette tradition qui était pourtant bien ancrée dans l'ADN des Vietnamiens.

Selon lui, d'ici quelques années, si le marché est toujours vivant, ce ne sera plus que pour répondre à la demande touristique.

Il est 7 h du matin, le soleil est maintenant levé. On sent que déjà, le marché tire à sa fin. Il se fait tard pour les quelques marchands restants. On se dirige tranquillement vers les canaux du Mékong, d'étroites voies paisibles bordées de verdure luxuriante. Un détour de près d'une heure qui offre un silence apaisant après le chaos de Cai Rang.

Pendant que l'on navigue à travers les cours d'eau, Thuy taille trois énormes fruits du dragon et un bout de melon, qu'il nous tend. Un troisième déjeuner ? Pourquoi pas !