Depuis mars 2016, Jonathan B. Roy fait le tour du monde à vélo. Il nous le raconte ici, une aventure à la fois.

Au pied des montagnes du Pamir, au Tadjikistan, Davlat prend son téléphone pour la quatrième fois en 20 minutes et insiste pour me trouver une femme. «Djonatanne, cinq minutes et c'est réglé!», me répète-t-il.

Je fais seul ce tour du monde à vélo, mais pour deux semaines, je roule avec Freddy, un Allemand, et Pierre, un Français. Dans cette région du monde, l'une des plus reculées de la planète, les endroits où poser nos tentes sont légion, mais les meilleurs se trouvent sur de minuscules fermes espacées au gré des ruisseaux. Pour nous approvisionner en eau et profiter du terrain plat, je demande donc la permission à Davlat, propriétaire du champ, de nous installer chez lui.

Les Pamiris sont un regroupement de peuples habitant principalement dans les montagnes de l'est du Tadjikistan. Et ils sont parmi les gens les plus accueillants et généreux que j'ai eu la chance de rencontrer. Nous nous retrouvons donc cinq minutes plus tard à l'intérieur de la très modeste demeure de deux pièces du fermier, devant un festin local: des patates et du thé.

Davlat est seul à manger avec nous, les femmes n'étant pas autorisées à partager un repas avec des étrangers. Il nous parle en russe même si on ne connaît, à trois, qu'une dizaine de mots. Je suis toujours impressionné de voir que plusieurs années après l'effondrement de l'empire soviétique, les habitants de tous les recoins des anciennes républiques peuvent parler le russe aussi facilement. La répression des cultures minoritaires a été couronnée de succès, semble-t-il.

Comme notre hôte constate qu'on est bien loin de tout comprendre, il répète ses phrases... plus fort. Nos faces et nos jeux de mains montrent vite l'ampleur de nos lacunes linguistiques.

La conversation se poursuit donc à force de mimes et d'onomatopées. 

Analysant nos physiques, le Pamiri nous classe en catégories qu'il connaît bien. Freddy, avec ses cheveux blonds, ressemble à un Russe. Pierre, avec sa longue barbe, à un taliban, et moi, avec ma peau basanée et ma grosse face, à un Pamiri. Je suis le meilleur parti.

«Es-tu marié?», me demande-t-il. Je me suis depuis longtemps habitué à cette question, typique en Asie centrale. Mais pour la première fois, après un honnête «non», notre hôte me demande: «Veux-tu que je te trouve une femme?» Mes comparses européens rigolent.

«Pourquoi moi et pas eux? que je lui réponds par gestes et interjections sonores, ils ne sont pas mariés non plus.»

PHOTO FOURNIE PAR JONATHAN B. ROY

Davlat et sa famille

«Tu veux que je marie ma soeur à un taliban?», lance le fermier, mi-rieur, mi-outré.

Le repas se poursuit. Et toutes les cinq minutes, il revient sur le sujet. Je trouve encore ça drôle, mais de moins en moins. Surtout quand il me passe le téléphone avec sa soeur en ligne. Mes comparses, eux, en redemandent. Ils aimeraient voir des photos, pour mieux choisir, expliquent-ils. 

C'est pour moi le moment de remercier Davlat pour son hospitalité et de me retirer dans ma tente. Comme il me suit sur les talons, je lui dis que je vais réfléchir à son offre pour le faire partir.

Au petit matin, en ouvrant ma porte en nylon, je vois mon Davlat déjà là, à m'attendre, une théière dans une main, son éternel téléphone dans l'autre, et me demandant si j'ai changé d'idée pour le mariage. Je ris un peu jaune, mais cette fois, son expression est complètement sérieuse. C'est une vraie question.

Je me tourne vers Freddy et Pierre, qui ont espoir d'assister au mariage dans la journée. «Hé! les gars, je sais qu'on part ensemble d'habitude, mais me semble que je suis prêt à partir là, vous me rejoindrez plus tard!»

PHOTO FOURNIE PAR JONATHAN B. ROY

Freddy et son vélo normal. Pierre et son vélo géant.