«Je n'ai pas gagné un seul centime depuis quatre jours»: Hani Abou al-Nasser, dépité, montre son magasin vide dans le vieux souk de Damas, les touristes ayant déserté la Syrie en raison des violences qui frappent le pays depuis deux mois.«Il n'y a pas de travail, les touristes sont partis», se lamente cet homme de 64 ans.

Dans le souk qui grouille habituellement de visiteurs se bousculant pour acheter foulards, bijoux, nappes ou épices, tous les commerçants racontent la même histoire.Un silence étrange a remplacé la cacophonie. Dans les ruelles du souk, où les vendeurs hélaient les touristes en français, anglais, allemand ou arabe, ces derniers sont désormais assis devant leurs boutiques, tuant le temps en jouant au backgammon ou en parlant des troubles qui agitent le pays depuis le 15 mars.Confrontés à une chute drastique de la fréquentation pendant ce qui constitue normalement la saison haute (mars-juin), de nombreux restaurants, hôtels et magasins ont dû licencier, et certains même fermer.

Comme beaucoup de ses homologues commerçants, Antoune Mezannar, propriétaire des deux hôtels de charme Beit Al-Mamlouka, désormais vides, en veut aux médias internationaux.«Ils déforment la réalité et font fuir les touristes», déplore M. Mezannar, qui s'est séparé de la moitié de ses employés.«Il ne se passe rien à Damas, mais quand vous regardez les informations, vous avez le sentiment que tout le pays est en feu», note-t-il.Viken Korkejian, directeur de l'Hôtel et Restaurant Oriental, un autre des dizaines d'hôtels de charme nés dans la Vieille ville ces dernières années, a dû de son côté «licencier environ 50% du personnel de l'hôtel et 25% de celui du restaurant».«Le patio était d'habitude rempli de clients (...), mais maintenant il est complètement vide, c'est sinistre», note-t-il, ajoutant: «J'ai eu deux clients suisses plutôt ce mois-ci pour cinq jours, j'avais l'impression d'être au paradis».

Le manager du restaurant, Imad Salloum, souligne que la présence de clients locaux ne compense pas les pertes.«D'habitude, on refuse des clients, mais maintenant, regardez-nous... Même les restaurants à l'extérieur de Damas qui accueillent les Syriens le week-end sont durement touchés et certains ont fermé», dit-il.

Même constat dans la bijouterie-galerie d'art de Samer Koza. Les affaires se sont taries depuis mi-avril, d'abord à cause des troubles en Egypte, puis des manifestations en Syrie et des appels lancés par les pays occidentaux à leurs citoyens de limiter leur voyage dans le pays.«Nous avions eu notre meilleure saison l'année dernière, et nous nous attendions à faire encore mieux cette année, mais désormais nous commençons à nous serrer la ceinture», dit-il.Selon le ministère du Tourisme, en 2010, le tourisme représentait 12% du PIB, générant plus de 7,6 milliards de dollars. Le nombre de touristes avait augmenté de 40% cette année-là, atteignant 8,5 millions.

L'année 2011 s'annonçait encore plus prometteuse, au vu du nombre de réservations d'hôtel, effectuées six ou huit mois à l'avance.Ces dernières années, les Occidentaux affluaient sans cesse plus nombreux pour découvrir la Syrie et ses trésors archéologiques, après la fin de l'isolement diplomatique ayant touché Damas suite à l'assassinat en 2005 à Beyrouth de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Soupçonnée d'avoir été derrière ce meurtre, Damas avait démenti.Beaucoup craignent que la crise touristique ne dure jusqu'à la fin de l'année et ne se traduise par des millions de dollars de perte.Mais pour Hani Abou al-Nasser, seul le futur immédiat compte. «Je vendais d'habitude 30.000 dollars de marchandises par mois, le mois dernier je n'ai fait que 3000, et ce mois-ci, ça risque d'être 500 dollars. Je peux tenir encore deux mois comme cela, mais après (...) je vais devoir fermer boutique».