Le nom du train Eastern and Oriental Express évoque à lui seul le raffinement, le romantisme et l'exotisme. En trois jours et deux nuits, à une vitesse moyenne de 60 km/h, il traverse trois pays : Singapour, la Malaisie et la Thaïlande. Le but n'est pas de se rendre de Singapour à Bangkok, mais plutôt de profiter de chaque instant de ce trajet de 2030 km. Le train est la véritable destination. Un voyage tel qu'on le concevait à une autre époque. Embarquement immédiat!

JOUR 1

SINGAPOUR

Le matin, sur le quai de la gare, nous sommes 75 passagers, provenant de toutes les parties du monde. Il y a aussi les 45 membres du personnel, la plupart d'origine thaï, pour nous diriger vers nos compartiments.

Le train a fière allure avec ses 22 voitures en inox rutilantes et ses petites lampes aux fenêtres. Inspiré du film Shanghai Express, l'aménagement intérieur de style colonial est tout en bois, mais chaque voiture est différente. L'une est en érable, l'autre en teck ou en chêne, en bois de cerisier ou de rose. De superbes panneaux de marqueterie ont été réalisés par des artisans de Singapour quand le train acheté de la New Zeland Railways a été réaménagé en 1993.

Juste le temps de s'installer, le train s'ébranle et le repas est annoncé. Les trois voitures-restaurants, tout comme le bar et la bibliothèque sont au centre, entre les voitures-lits réparties de chaque côté.

Les mets euroasiatiques du premier repas sont excellents. Au moment du café, le maître d'hôtel distribue les places pour le dîner. Question d'éviter la routine, on change de place à chaque repas. On peut choisir une table à deux ou une table de quatre pour faire connaissance avec d'autres personnes à l'un ou l'autre des deux services: 11h45 et 13h30 pour le lunch; 18h15 et 21h15 pour le dîner.

Après les mignardises, plusieurs passagers se rendent directement dans la voiture d'observation. En queue de train, c'est une voiture ouverte qui offre une vue panoramique. Il y a quelque chose d'hypnotisant et d'infiniment relaxant à voir défiler de petits villages encastrés dans la jungle. Quand la densité de la végétation diminue, nous traversons des plantations de caoutchouc, des champs de bananiers, palmiers et cocotiers. Ici et là, des étangs recouverts de fleurs de lotus et quelques buffles étendus, visiblement épuisés par la chaleur tropicale. Dans le petit pays-état, le thermomètre se maintient toute l'année aux environs de 32 degrés C, avec un taux d'humidité de 80%. Heureusement, le train est climatisé.

La voiture-bibliothèque, avec ses livres et ses jeux sur planches, baigne dans l'ambiance d'un autre siècle. On se surprend à imaginer Hercule Poirot à la place de l'astrologue et spécialiste de tarot, qui attend son prochain client. À l'autre extrémité de la voiture, une jeune femme propose des traitements de réflexologie. À 35$ pour 45 minutes, ce n'est pas la peine de s'en priver.

Aussitôt revenue dans mon compartiment, le chef de voiture apporte un élégant plateau. C'est déjà l'heure du thé, servi avec sandwichs et petits fours. Ce moment est d'autant plus apprécié qu'il n'y a rien d'autre à faire que d'en profiter. Le train a le grand avantage de n'avoir ni internet ni téléviseur.

Très confortable, chaque compartiment est doté d'une salle de toilettes avec douche et lavabo. Un plat de muguet frais parfume délicatement la pièce. Une lampe en bronze avec abat-jour en verre Lalique, une orchidée et un plat de fruits sont placés sur la petite table devant la fenêtre panoramique, encadrée par des rideaux joliment brodés. C'est d'un charme suranné, mais irrésistible.

Le soleil se couche tôt sous les tropiques et plusieurs retournent à la voiture d'observation pour voir le ciel se teinter de rose avant le coucher du soleil. À 19h30, il fait déjà nuit. Une fois prêt pour la soirée, tout le monde converge vers la voiture-bar et son pianiste. L'élégance est de mise, les bijoux scintillent et les verres de champagne tintent. Des hommes ont revêtu un smoking pour accompagner leur femme en robe de soirée. Ces tenues ne sont pas obligatoires, mais plusieurs aiment ce chic d'époque qui est en parfait accord avec la fine porcelaine et le somptueux cristal de la salle à manger.

Arrivés en Malaisie, à Kuala Lumpur, nous apercevons les tours Petronas illuminées. Ceux qui le désirent peuvent se dégourdir les jambes sur le quai pendant quelques minutes ou visiter la vieille gare, construite en 1911.

De Kuala Lumpur, le train roulera toute la nuit dans la péninsule malaise. Après le repas, quelques couples prennent un dernier verre au bar, les autres se retirent dans leur compartiment. Le peignoir et les pantoufles attendent sur le lit qui a été préparé.

JOUR 2

MALAISIE

Bercé par le roulis du train, le sommeil a été profond et réparateur. Le petit-déjeuner est servi dans le compartiment. Jus et café accompagnent croissants et brioches, pain et confitures.

Tout est silencieux à bord. Des kilomètres de jungle évoquent les peintures aux multiples teintes de vert d'Henri Rousseau. Viennent ensuite de vastes étendues consacrées à l'agriculture. Des paysans prennent une pause pour regarder passer le train et nous envoient la main.

On arrive à Butterworth en fin de matinée. Un autocar nous amène à l'île de Penang, jadis l'un des ports privilégiés des Anglais sur la route de l'Asie. Tout en traversant le plus long pont de Malaisie (13,5 km), le guide fait le portrait du pays, indépendant depuis 1957 et comptant 28,3 millions d'habitants. Surtout agricole, il est aussi le plus grand exportateur mondial de micropuces.

Georgetown, la capitale de l'île de Penang, a été nommée en l'honneur du prince George qui est ensuite devenu le roi George IV. C'est une ville coloniale avec beaucoup d'histoire, un fort impressionnant, plusieurs édifices modernes et quantité de shophouses. Nous arrêtons au très fréquenté marché chinois, un lieu de rencontre quotidien pour les citadins. Les étals débordent d'aliments frais de toutes sortes.

Les rues sont bruyantes et vibrantes. Souvent situés côte à côte, les temples et les mosquées témoignent de l'harmonie entre Malais, Chinois et Indiens. Le mélange de cultures et de traditions apportées par les marchands d'épices et les immigrants s'exprime à travers les senteurs et les couleurs, les sons et les saveurs.

Nous revenons à bord pour le lunch et le train reprend sa route. Les villages sont plus nombreux, les gens vaquent à leurs occupations, les enfants s'amusent autour des maisons ou reviennent de l'école. Plusieurs routes en construction confirment le dynamisme de l'Asie du Sud-Est.

À la frontière. le train arrête quelques minutes pour les formalités d'immigration à Padang Besar. Le paysage thaïlandais est complètement différent, la lumière a une autre intensité et de nouvelles couleurs apparaissent. Les temples bouddhiques remplacent les mosquées et les rizières s'étendent à l'infini.

Dans la voiture d'observation, tout le monde connaît maintenant le prénom et le pays d'origine de ses compagnons de voyage. Il y a plusieurs Européens (surtout des Britanniques, des Suisses et des Allemands), mais aussi des Japonais et des Chinois, quelques Australiens et bien peu de Nord-Américains. Je suis la seule Canadienne. L'anglais sert de langue commune et tout le monde fraternise.

Il y a des gens de tout âge. De jeunes couples sont en lune de miel tandis que d'autres célèbrent un important anniversaire de naissance ou de mariage. Ce voyage exceptionnel est souvent associé à une étape marquante de la vie. Mais il y a aussi des inconditionnels du train, comme ce couple d'Australiens qui en est à son quatrième voyage à bord de l'E&O.

Ce soir, le pianiste du bar partage l'animation avec une danseuse thaï, qui exécute quelques danses traditionnelles. La bonne humeur est générale et un parfum de légèreté flotte dans l'air.

JOUR 3

THAÏLANDE

L'arrêt à Kanchanaburi est un temps fort du voyage. C'est un moment émouvant, chargé d'histoire et plusieurs passagers l'attendent avec impatience. La plupart descendent du train avec la petite couronne de fleurs placée la veille dans les compartiments pour être déposée sur les tombes de compatriotes au cimetière Don-Rak War.

Mais auparavant on peut photographier le pont de la rivière Kwaï et même y voir passer le train. Le film Le pont de la rivière Kwaï raconte l'histoire de cette structure en bois qui a été rapidement remplacée par le pont en fer actuel, expédié de Java par les Japonais. L'arche est d'époque tandis que le reste du pont a été reconstruit après un bombardement aérien en février 1945.

Après une belle promenade en barge sur la rivière, on visite le Thailand-Burma Railway Centre, un musée consacré à l'histoire de la construction de la voie ferrée Thaïlande-Birmanie sous l'égide des Japonais.

En partant de chaque extrémité, 61 000 prisonniers de guerre (britanniques, néerlandais, australiens et américains) et plus de 250 000 hommes de Birmanie, Malaisie et Indonésie ont travaillé 18 heures par jour, parfois même jusqu'à 30 heures d'affilée. Même la pluie incessante durant la mousson n'a pas ralenti les travaux. Avec des outils primitifs et un peu de dynamite, ils ont déblayé la végétation à main nue et déplacé 3 millions de mètres cubes de roches.

En seulement 12 mois (1942-1943), ils ont construit 68 ponts et 415 km de voies ferrées d'un mètre de largeur à travers la jungle montagneuse. Les conditions de travail inhumaines ont cependant causé des épidémies, entre autres de choléra. Le chemin de fer Thaïlande-Birmanie a coûté la vie à 130 000 travailleurs, dont 16 000 prisonniers de guerre.

Plusieurs centaines d'entre eux reposent au cimetière Don-Rak War, en face du musée. Un Australien s'était engagé à déposer une couronne sur la tombe d'un ancêtre. Il semble soulagé d'avoir rempli sa promesse. Pendant le trajet qui nous ramène au train, le silence est lourd d'émotion.

Comme le chef propose toujours un menu en accord avec les saveurs du pays traversé, il a préparé pour le lunch de délicieux mets thaïlandais. C'est notre dernier repas à bord et les conversations soulignent la qualité exceptionnelle du service pendant toute la durée du trajet. Nous avons été chouchoutés sans jamais nous sentir envahis.

Plus on approche de Bangkok, plus les inondations sont importantes (nous sommes en novembre). Le train doit diminuer sa vitesse de croisière par mesure de sécurité.

Quand les gratte-ciel de Bangkok apparaissent en fin d'après-midi, les passagers s'échangent des adresses courriel. Un couple poursuivra son voyage en Birmanie, d'autres s'envoleront vers le Laos ou visiteront la Thaïlande avant de rentrer chez eux. Tous sont un peu tristes de quitter le train à la gare de Bangkok, mais déjà prend forme le rêve d'un autre voyage à bord d'un train de luxe.

Les frais de ce voyage ont été payés par Eastern and Oriental Express. Transport assuré par Singapore Airlines.