Perdu au milieu des collines des Philippines, un petit bout d'Italie a vu le jour, créé au fil des ans par les milliers d'habitants de la région partis travailler dans la botte de l'Europe.

De larges maisons de pierres ont essaimé à Mabini et aux alentours, à 65 km au sud de Manille. Des voituresneuves sont souvent garées devant, bien que les routes de la région ne soient pas assez larges pour en laisser passer deux.

Jusqu'aux années 80, «nous dépendions de l'agriculture: les légumes, les fruits et le maïs. Nous étions la région la plus pauvre de la province. Nous n'avions que des cabanes au toit de chaume», déclare Raymundo Magsino, 63 ans, le président du district.

Mais l'argent envoyé par les habitants partis travailler en Italie a tout changé, en une génération.

Sur les 47 000 habitants du district, 6300 ont fait le voyage, indique Aileen Constantino-Penas, directrice d'une association d'aide aux émigrés.

Et ceux qui reviennent ont ramené avec eux une touche italienne: l'apparence des maisons rappelle les habitations de là-bas, avec des terrasses, des porches et des balcons. Certaines sont même ornées de détails façon antiquité romaine, avec des colonnes comme le Panthéon.

Les bidets, totalement inconnus aux Philippines, figurent dans plusieurs salles de bain. Et lorsqu'ils discutent, les habitants ponctuent leurs échanges de «mama mia!», note Mme Constantino-Penas.

Partir travailler à l'étranger est courant aux Philippines, où l'économie ne parvient pas à employer une grande partie de la population. Neuf millions de Philippins, soit 10% des habitants, travaillent par delà les frontières comme femmes de ménage, nounous, infirmières, marins, ouvriers...

Mais les gens de Mabini ont une préférence pour l'Italie. Les premiers départs datent de la fin des années 70. Les gens s'y plaisaient, ont convaincu leurs proches de tenter l'aventure et cela a fait boule de neige.

Luciana Hernandez, 81 ans, a vu neuf de ses dix enfants partir pour ce pays. La plupart y sont restés.

Sa fille a été la première à partir, en 1986. L'entrée en Italie était illégale et la jeune femme a voyagé avec un passeur, en se cachant dans la montagne, depuis la Yougoslavie.

«Au début quand ils partaient, je pleurais beaucoup. Mais je m'y suis habituée maintenant et ils m'appellent très souvent avec ces nouveaux téléphones», indique Mme Hernandez.

L'Italie a la faveur des Philippines, comme d'autres pays d'Europe, car les lois protègent les employées de maison et leur permettent d'être soignées à l'hôpital en cas de besoin.

Mais ces départs massifs ont également un coût pour la communauté, soulignent les autorités.

Cela créé des liens de dépendance et «beaucoup de gens ici ne veulent plus travailler dans les fermes. Ils jouent aux cartes et vont aux combats de coqs», soupire le président du district.

L'association d'Aileen Constantino-Penas, Atikha, aide les émigrés à gérer leur argent et travaille avec la famille restant sur place pour limiter les conséquences de la séparation.

«Il y a un coût social de l'émigration. Les enfants qui restent sur place ne veulent plus étudier. Leur attitude est de dire «je devrais partir à l'étranger». Nous avons beaucoup d'enfants qui abandonnent l'école», dit-elle.

Pacencia Casapao, de l'office de tourisme, cherche à convaincre un des émigrés de revenir d'Italie pour ouvrir un restaurant italien pour les touristes. «Mais personne n'est intéressé», soupire-t-elle.