L'annulation historique de la saison dans l'Everest, après l'avalanche la plus meurtrière jamais survenue sur le toit du monde, a plongé dans un profond désarroi les sherpas népalais, privés de leur unique source de revenus.

Le 18 avril, 16 sherpas -- porteurs locaux des cordées d'alpinistes étrangers -- ont été emportés dans un éboulement de glace et de neige qui a également fait trois blessés graves.

Leurs collègues, anéantis par la catastrophe et en colère contre la faiblesse des indemnisations proposées, avaient annoncé qu'ils renonçaient à toute ascension.

Leur décision est un coup dur pour les alpinistes étrangers qui déboursent des milliers de dollars dans l'espoir de gravir le plus haut sommet du monde culminant à 8848 mètres. Mais ce bien sont les sherpas eux-mêmes, souvent seuls pourvoyeurs de revenus pour leurs familles dans un pays parmi les plus pauvres du monde, qui sont les plus lésés.

«Nous sommes tous venus ici pour grimper et gagner notre vie. Y renoncer est un choix dramatique», résume à l'AFP Lam Babu Sherpa.

Avec l'essor du tourisme alpin dans l'Himalaya, les sherpas, membres d'une ethnie originaire du Tibet, sont devenus indispensables.

Le plus célèbre d'entre eux, Tenzing Norgay, avait accompagné la première conquête de l'Everest en 1953 par le Néo-Zélandais Edmund Hillary.

Le terme désigne aujourd'hui ces hommes endurants qui bravent les dangers de la montagne dans l'ombre des alpinistes américains, japonais ou européens, pour ramener chez eux entre 3000 et 6000 dollars, fruit de deux ou trois mois d'ascensions aussi périlleuses qu'éreintantes.

Leur communauté compte quelque 600 individus. Habitués au manque d'oxygène, ils sont cuisiniers, guides, porteurs ou éclaireurs d'élite qui fixent pitons et broches à glace avant le passage de leurs clients fortunés.

- Un avenir meilleur pour les enfants -

Tenzing Chottar Sherpa, 27 ans, participait à sa première ascension. Il est mort dans l'avalanche.

Il avait promis de revenir dès la fin de la saison. Sa veuve, Ang Dali Sherpa, 28 ans, avait décidé de lui annoncer à ce moment-là sa troisième grossesse.

«Il m'a demandé de prendre soin des enfants et d'être patient avec notre fille, qui est très malicieuse», raconte-t-elle à propos de leur dernière conversation téléphonique.

La saison devait leur permettre d'envoyer leurs enfants dans une école privée. Il ne lui reste plus rien.

«Je rêvais d'un meilleur avenir pour nos enfants, je ne voulais pas qu'ils deviennent guide. Mais maintenant, qui peut dire ce qui arrivera?».

Le gouvernement a promis de verser 400 dollars aux familles des victimes pour couvrir les funérailles. Un montant dérisoire qui s'ajoute aux maigres 10 000 dollars de l'assurance-vie.

Namgyal Sherpa n'était qu'à quelques mètres au-dessus de ceux qui ont été emportés par un sérac détaché d'une portion dangereuse de la montagne, appelée «la cascade de glace de Khumbu».

Namgyal Sherpa a creusé des heures dans la neige avec d'autres pour tenter de sauver leurs collègues, dont un cousin. «J'ai pensé que nous allions tous mourir», assure le guide de 38 ans qui ne compte plus ses traversées de la «cascade» en 11 ans de carrière.

Russell Brice, vieux briscard de la haute montagne et propriétaire de l'agence d'expéditions Himex, estime que «nulle part ailleurs dans le monde on ne passerait par une cascade de glace comme celle-là». «On ne le fait que parce que c'est l'Everest».

Lors d'une cérémonie à la mémoire des sherpas tenue à Katmandou, Sarkini Sherpa, dont le mari est un miraculé de la catastrophe, évoque l'avenir avec angoisse.

«La montagne est notre gagne-pain, nous ne connaissons qu'elle. Nous espérions gagner assez cette saison pour envoyer nos enfants à l'école à Katmandou (...). Mais maintenant je suis très inquiète, je ne sais pas comment nous allons payer nos factures».

A l'en croire, les sherpas devront tenir un an. «C'est une tragédie terrible, mais les hommes repartiront en montagne. Il n'y a pas d'alternative».