Dia contemple, amer, son restaurant désert à Aley, lieu de villégiature libanais qui accueille chaque été des milliers de riches touristes du Golfe et d'expatriés. Mais cette année, personne n'est au rendez-vous.

«D'habitude, se garer est une gageure tellement c'est bondé. Aujourd'hui, les rares visiteurs stationnent devant les restaurants», maugrée cet homme de 27 ans.

«Notre chiffre d'affaires a plongé de 50% par rapport à juin l'année dernière», se lamente un pâtissier du coin. «Avant, on avait un client tous les quarts d'heure, aujourd'hui, c'est un miracle si quelqu'un franchit la porte».

Guerre en Syrie, affrontements communautaires, report des législatives, absence de gouvernement et un demi-million de réfugiés syriens au Liban: tout va de travers dans le pays méditerranéen réputé pour ses plages, ses sites romains et phéniciens et ses soirées endiablées.

Le coup de grâce a été donné par les six monarchies pétrolières du Golfe, quand elles ont appelé pour la première fois à l'unanimité leurs citoyens --qui assurent 65% de la manne touristique-- à éviter le Liban pour des raisons de sécurité. Le nombre de Saoudiens, de Koweïtiens et autres a d'ailleurs chuté de 80% comparé à juin 2012.

De plus, les télévisions ont largement couvert le week-end dernier la miniguerre entre l'armée et des islamistes radicaux au cours de laquelle 18 militaires ont péri dans la ville méridionale de Saïda, l'antique Sidon connue pour sa citadelle maritime, ses souks et son musée du savon.

«Dès que vous prononcez le mot 'armes', ça tue le tourisme», affirme à l'AFP Pierre Achkar, président du syndicat des hôteliers du Liban.

Selon lui, «300 établissements touristiques ont fermé leurs portes depuis le début de l'année».

Même s'il se veut confiant concernant une reprise prochaine, le ministre du Tourisme Fadi Abboud déplore les mauvais chiffres de ce début de saison estivale.

«Le taux d'occupation des hôtels à Beyrouth atteint à peine 35% ce mois-ci, moitié moins qu'en temps normal. Hors Beyrouth, c'est catastrophique: 5% contre 35% d'habitude», déclare-t-il à l'AFP.

Si l'ambiance est moins morose à Beyrouth, surnommée «capitale de la fête au Moyen-Orient» par les médias internationaux, ou encore dans les zones en «pays chrétien» comme Byblos ou Jounieh, les grandes villes touristiques sont touchées de plein fouet.

Outre Saïda, Baalbeck, bastion du mouvement Hezbollah, qui abrite l'un des temples romains les plus beaux et les mieux préservés, a été la cible de roquettes tirées vraisemblablement par les rebelles syriens en représailles à l'engagement militaire du parti chiite aux côtés du régime de Bachar al-Assad.

Première victime: le célèbre festival international de Baalbeck n'aura pas lieu dans le temple de Bacchus et son invitée vedette, la soprano Renée Fleming, a annulé sa participation.

Tripoli, la grande ville du Nord, est désormais plus connue pour les heurts intermittents entre partisans et opposants de la rébellion syrienne que pour sa citadelle croisée et son vieux souk.

Les expatriés manquent à l'appel

Si les Libanais à l'étranger n'ont pas été rebutés par les guerres et les crises successives pendant des années, cette fois, ils ne veulent plus prendre de risque, car ils ont peur d'être pris au piège.

«Il faut être fou pour aller au Liban en ce moment», affirme Elvira Hawwa, une Libanaise expatriée à Madrid qui rend visite à sa famille chaque été. «Je ne viendrai pas cette année et j'ai conseillé à mes enfants d'en faire autant».

Leila, basée à Michigan, aux États-Unis, partage cet avis.

«Ça se gâte dans le pays», dit-elle par téléphone à l'AFP. «J'avais l'intention de venir en juin, mais j'ai annulé. Nous ne voulons pas revivre l'enfer de la guerre civile», qui a ravagé le Liban de 1975 à 1990.

«Avant, on pouvait fuir par la Syrie. Cette fois-ci, nous serons bloqués».

Selon le ministre Abboud, 200 mariages programmés cet été ont été annulés. «C'est un manque à gagner de 100 millions de dollars» dans un pays où les dépenses à cette occasion sont faramineuses.

La situation n'est pas mieux du côté des restaurants et des boîtes de nuit qui ont enregistré une chute de 50% du chiffre d'affaires depuis le début de l'année, selon le syndicat concerné.

Anticipant le manque de visiteurs, les boutiques ont commencé à brader leurs marchandises, jusqu'à 90%.

Le secteur compte désormais sur les nouveaux touristes: les Irakiens, Jordaniens et Égyptiens. «Eux sont moins influencés par le contexte de violences», signale M. Abboud.