Des centaines de stations, 26 millions de passagers transportés chaque jour, une propreté étonnante, un personnel serviable et une ponctualité quasi parfaite: bienvenue dans les trains et du métro de Tokyo.

Certes, aux heures de pointe, les passagers sont compressés nez collé aux vitres et poussés par des préposés affectés à cette tâche ingrate pour remplir les voitures à près de 200%, mais nul ne se plaint ouvertement ni ne menace d'étrangler son voisin.

Les responsables de la société de transport Tokyo Metro, l'une des multiples compagnies qui se partagent la desserte de la capitale et de sa banlieue, eux, en sont persuadés: nulle autre société de chemin de fer au monde, hormis leurs compatriotes, ne peut se targuer d'être aussi précise dans le respect des horaires, à quelques secondes près, comme des arrêts, au centimètre près devant les marques des portes sur les quais.

«Nous avons une marge de cinq secondes sur les heures fixées» pour chaque arrivée et départ, les rames se succédant selon les cas toutes les deux ou trois minutes. «S'il y a un retard, il faut le rattraper », explique le conducteur Shunsaku Hagita, 27 ans.

«Le métro fait partie intégrante de la vie quotidienne à Tokyo. Ce niveau de sécurité et de ponctualité est attendu par nos passagers», renchérit Shogo Kuwamura, un porte-parole de Tokyo Metro, groupe qui reçoit la visite de nombreux représentants de compagnies étrangères envieuses.

La ville a deux opérateurs de métro, Tokyo Metro et Toei Subway, mais leurs réseaux croisent ceux tout aussi complexes d'une myriade de sociétés ferroviaires dont les employés et conducteurs mettent le même point d'honneur à être à l'heure, et de bonne humeur. C'est que le moindre écart de temps sur une ligne peut avoir un redoutable effet boule de neige sur l'ensemble du trafic et provoquer de dangereux agglutinements dans les stations où s'enchevêtrent plusieurs lignes.

Peuplée d'environ 35 millions de personnes, dont la plupart empruntent les trains et métros une ou plusieurs fois par jour, la mégapole tokyoïte est la plus grande agglomération sur Terre.

Las, il y a des impondérables, comme les suicides, les séismes, les typhons et autres caprices de la nature qui obligent à stopper les trains ou à les ralentir. Mais si d'aventure les retards se produisent - même de moins d'une minute - ils sont annoncés aux passagers avec force excuses toutes les minutes, jusqu'à la reprise du service normal.

Et les compagnies vont jusqu'à fournir un mot d'excuses aux salariés et écoliers retardés.

Si la chaleur humaine se lit sur le visage des préposés toujours là pour aider le client devant les distributeurs de tickets et portiques automatiques, la régularité technique, elle, est davantage une affaire d'informatique.

«Les métros sont de plus en plus exploités par les ordinateurs et surveillés par le centre de commandement central pour minimiser le risque d'erreur humaine», confie M. Hagita.

Le conducteur, lui, est essentiellement là pour ses yeux, afin de surveiller les écrans et prendre des mesures en cas d'urgence. Mais c'est peut-être là, dans cette conscience permanente de l'importance de la sécurité, que se trouve l'essentiel... et le motif de leur surprenante gestuelle.

Mains gantées de blanc, ils désignent chacun de leurs mouvements à haute voix, selon un ordre et des signes appris et maintes fois répétés. Et c'est justement parce qu'ils sont obligés de les reproduire chaque fois à l'identique et selon la même rythmique qu'ils n'en oublient aucun, ne négligent rien. Du moins, tel est leur devoir.

Toutefois, à confier davantage aux machines, les compagnies prennent le risque d'une perte de vigilance de leurs conducteurs, au point que quelques uns se sont faits tancer pour avoir utilisé leur téléphone portable à des fins personnelles pendant des trajets.

À chaque arrêt, l'opérateur chargé de gérer la bonne marche de la rame (laissant le conducteur se concentrer sur ses fonctions) ouvre les portes, sort de son compartiment à l'arrière du train pour regarder les mouvements des passagers sur les quais avant de sonner pour indiquer que les portes vont être refermées puis de s'en assurer en tendant le bras. Remonté dans sa cabine, il reste penché à la fenêtre jusqu'à ce que le train ait quitté le quai, saluant au passage les collègues de la station. La chorégraphie est respectée, le geste ample, la cadence parfaite, la voix assurée.

Ce spectacle peut sembler ridicule et exagéré pour ceux qui ne connaissent par l'importance accordée par les Japonais à la discipline vis-à-vis de méthodes enseignées de façon homogène et qui ont prouvé leur efficacité.

Mais les Nippons, eux, respectent ces hommes en uniforme que les enfants imitent avec admiration. Pour les garçons japonais, devenir conducteur de train est un métier de rêve au même titre que pilote d'avion, policier ou footballeur.

«J'ai grandi en regardant les conducteurs de train», confirme M. Hagita, qui, lorsqu'il sera marié et père, sera fier, dit-il, de faire monter sa famille dans sa rame.

La ville de Tokyo aussi est fière de ses transports: elle en a fait un des symboles de la fiabilité et de la sécurité au Japon et un argument-clef de sa candidature, réussie, pour l'organisation des jeux Olympiques de 2020. D'ici là, le service sera encore meilleur et davantage multilingues, promettent les compagnies.

Photo AFP