M. Konishi, l'aubergiste qui m'accueillait, a tout fait pour me dissuader: la marche serait longue, les températures seraient basses et je risquerais de souffrir du mal des montagnes. Mais mon rendez-vous était déjà pris. Là-haut m'attendait la cime du mont Fuji.

Avec sa stature de 3776 m et son statut de point culminant du Japon, le volcan géant peut être intimidant. Pas assez, toutefois, pour décourager les 200 000 randonneurs qui se mesurent chaque année à ses flancs. De fait, le Fuji est plus docile qu'il ne paraît - à condition d'être en forme et d'accomplir l'ascension durant la saison estivale.

Avant le départ, aux aurores, M. Konishi, paternaliste, passe en revue mon équipement: eau, nourriture, vêtements chauds. Il trouve l'objectif ambitieux: faire l'aller-retour dans la journée. La cible est pourtant possible si l'on emprunte le circuit classique, dont la route démarre à la «5e station», à 2305 m.

Entouré d'une fourmilière de Japonais suréquipés, me voici engagé dans un large sentier boisé, qui offre déjà de superbes points de vue sur la région des Cinq Lacs. Mais dès le mi-chemin, le sol volcanique devient plus accidenté, et la balade se corse. La végétation (tout comme les randonneurs) se raréfie, pour laisser place à un tapis de pierres rougeoyantes. L'effet sous le pied est plutôt surprenant: les roches de basalte craquent sous chaque pas, comme si on arpentait un bol de céréales!

Marche intérieure

Au-delà du défi physique, fouler le très sacré mont Fuji constitue, pour les marcheurs nippons, une aventure spirituelle. Un aspect auquel même les profanes ne peuvent échapper: la route est émaillée de multiples torii - portiques de bois shinto marquant la séparation entre les mondes matériel et spirituel - et nombreux sont les pèlerins à faire estampiller leur bâton de marche dans chaque refuge.

Ces étapes, justement, permettent de marquer des haltes indispensables, voire de passer la nuit - une stratégie très prisée qui offre l'expérience contemplative du «soleil levant», au petit matin.

Épreuve à la portée de tous, l'ascension du Fuji peut être éprouvante s'il montre ses dents. Me voilà dans le dernier segment du parcours quand la montagne se drape soudain d'une épaisse couche nuageuse. Mettre un pied devant l'autre devient pénible et périlleux, puisque l'inclinaison des pentes s'accentue et l'oxygène se raréfie. Des Japonais exténués, appuyés sur les rambardes de sécurité, cherchent leur chemin et leur souffle. Mais au loin, dans la brume, tel un phare salvateur, se profile un tout dernier torii, flanqué de deux statuettes de lions: sommet en vue!

Un cratère au caractère... troublant

Au lieu des six heures de marche escomptées, seulement trois m'ont été nécessaires pour atteindre le cratère, cavité aussi vaste qu'inquiétante. Ses parois carbonisées laissent deviner les colères antérieures du volcan, et un frisson me parcourt l'échine à l'idée qu'il est toujours actif. Même si sa dernière éruption remonte à 1707, les volcanologues nippons ont relevé que le séisme de mars 2011 aurait légèrement troublé son sommeil. Un réveil serait dramatique: il forcerait l'évacuation d'un demi-million d'habitants.

Impuissant à dissiper la brume, je parviens toutefois à chasser ces mauvaises pensées en m'accroupissant au bord du cratère. Le temps de jouer de la baguette dans une bento bien méritée, composée de sushis et d'onigiri (triangles de riz enveloppés d'une feuille d'algue nori).

L'énergie est revenue, mais pas le soleil. Toujours dans les nuages, je rebrousse chemin dans un autre sentier, formé de cendres grisâtres fines comme du sable. Au bol de céréales succède le cendrier géant! En deux heures à peine, je rallie le point de départ, avec une seule obsession en tête: plonger mes mollets endoloris dans les bassins d'un onsen, bain public très populaire dans l'archipel.

Le village regagné, M. Konishi est surpris de me voir revenir si tôt. Ma soif de sommet désormais étanchée, une question me taraude encore l'esprit:

«Au fait, M. Konishi, qu'est ce que cela signifie, Fuji?»

La question semble mettre l'aubergiste dans de beaux draps.

«Eh bien, c'est difficile à traduire... Cela peut vouloir dire plein de choses.»

Après réflexion, il finit par lâcher: «Tu es y allé, alors tu sais ce qu'il signifie.»

L'ai-je réellement compris? Sacré Fuji...

FUJI PRATIQUE:

Quand y aller? En juillet et en août.

Qui peut y aller? Toute personne motivée et en bonne forme physique.

Où réserver un lit dans un refuge? Sur le site web de la ville de Fujiyoshida. Entre 55 et 75$ la nuit.

Comment y aller? De Tokyo, des trains partent de la gare de Shinjuku vers Kawaguchiko (via Otsuki). Compter 2h30. De là, un bus part pour la 5e station.

Photo Sylvain Sarrazin, La Presse

La route vers le sommet est émaillée de multiples torii - portiques de bois shinto marquant la séparation entre les mondes matériel et spirituel.