Dans le lagon aux eaux turquoise, les huttes sur pilotis dominent les coraux multicolores. Le hamac attend la sieste et le cocktail le coucher de soleil: Raja Ampat, archipel qui sert de décor à «Koh Lanta», est un petit paradis. Mais pour combien de temps encore?

Au large de la Papouasie, Raja Ampat est à l'Indonésie ce que la baie d'Halong est au Vietnam, mais en bien plus vaste: 610 îlots saupoudrés sur 4,5 millions d'hectares, 753 km de plages de sable fin et «probablement la plus importante biodiversité marine au monde», selon une étude qui sert de référence établie en 2002 par l'organisation Conservation International (CI).

L'archipel, sélectionné pour un possible classement en tant que Site du patrimoine mondial de l'Unesco, est «le dernier paradis sur Terre», dit la brochure de l'office de tourisme. Ce pourrait bien être vrai.

Éden quasi-vierge, l'endroit n'abrite que sept «resorts», avec chacun une dizaine de villas tout au plus. Raja Ampat n'a accueilli l'an dernier que 4515 touristes, soit un visiteur pour 1.000 hectares.

Encore largement inconnue, cette perle d'Asie reste un secret bien gardé, même en France où elle sert de décor à l'émission «Koh Lanta» sur TF1. Les Occidentaux doivent de plus voyager une trentaine d'heures avant de s'immerger dans le grand bleu, motivation principale des visiteurs.

«C'est le meilleur endroit au monde pour la plongée sous-marine», assure Pam Roth, adepte de la discipline depuis 33 ans. «J'aime son côté loin de tout», ajoute cette retraitée londonienne de 78 ans.

Mais le développement est embusqué derrière les cocotiers. Au bout d'un chemin défoncé fendant la jungle, dans une magnifique baie jadis complètement isolée, une piste d'atterrissage en construction vient déjà lécher les eaux cristallines.

Le vrombissement des tronçonneuses couvre dorénavant les chants des oiseaux exotiques. On coupe, on arrache, pour faire place à un aéroport qui devrait ouvrir l'an prochain.

«On espère faire venir de nombreux touristes», se réjouit Yusdi Lamatenggo, ministre régional du Tourisme.

«S'ils veulent créer un nouveau Bali, les touristes s'en iront», répond le cadre de «PapuaDiving», Jimmy Praet, en référence à cette île indonésienne souvent considérée comme une victime du tourisme de masse.

Déjà, le fragile écosystème souffre, témoigne ce Belge qui gère la première société à avoir ouvert un centre de villégiature à Raja Ampat, au milieu des années 90. M. Praet évoque une plongée qu'il vient d'effectuer au «Passage», un détroit réputé pour ses coraux: «tout était recouvert de sédiments provenant de la route et de l'aéroport en chantier».

Le nombre actuel des touristes est certes «très faible», reconnaît Mark Erdmann, conseiller pour l'Indonésie chez CI. «Mais il y a déjà des signes de surfréquentation».

«C'est la qualité des touristes, plus que la quantité que nous recherchons», assure cependant Hari Untoro Dradjat, premier conseiller au ministère national du Tourisme. Comme preuve de leur bonne volonté, les autorités citent une réglementation adoptée en juillet qui limite le nombre de «resorts» et de «liveaboards» (mini-bateaux de croisière). Sept parcs marins ont de plus été créés, couvrant 45% des récifs et mangroves.

Le gouvernement refuse cependant de condamner l'exploitation minière, tandis qu'une carrière de nickel dans le nord de l'archipel est régulièrement décriée pour son impact écologique. «C'est avec les mines qu'on fait de l'argent, plus qu'avec le tourisme», tranche M. Dradjat.

«J'imagine qu'ils vont saccager l'endroit», lance Helmut Hochstetter, un Allemand de 60 ans, en enfilant sa combinaison pour une plongée en compagnie des raies mantas. «Alors autant en profiter tant qu'on peut».