Des voyageurs intrépides nous racontent leurs histoires. Elles sont parfois rocambolesques et même difficiles à croire. Parfois, aussi, leurs aventures ont surtout d'extraordinaire qu'elles les ont menés plus loin. Dans tous les sens du terme.

Qui?

Helena Vallée-Dallaire, jeune étudiante, d'habitude raisonnable.

Quoi?

Un voyage familial, entre filles, sans billet de retour.

Où?

Ubud, Bali, Indonésie.

J'entamais mes études collégiales quand ma mère, géniale de folie depuis sa crise de la quarantaine et préretraitée depuis 10 ans, m'a proposé de partir à l'autre bout du monde. Là, tout de suite. Sans plan ni argent. «Ha! ha! non», a été ma raisonnable réponse d'enfant sage.

Pourquoi pas?

Ben là, maman, ça ne se fait juste pas.»

Mais ma soeur s'y est mise elle aussi, complice assidue de toute idée extravagante pouvant faire basculer notre quotidien. Mon refus chétif est seulement parvenu à repousser le départ jusqu'à la fin de ma session. Parce que oui, le 12 mai 2011, deux folles et leur victime se sont envolées, des grenailles en poche, pour Bali, en Indonésie. Pas de billet de retour, un logement réservé au hasard dans une ville à la réputation hippie et artistique dont on ne savait pas grand-chose. L'aventure, la grande, m'a aspirée avant que je puisse y aspirer.

Le dépaysement m'a frappée dès notre arrivée, dans un petit aéroport où le gamelan, instrument traditionnel balinais au son cristallin, accompagnait les sourires de bienvenue des employés. Leurs sourires blancs de bande dessinée, parfaitement droits, aux dents limées, comme le veut la pratique locale.

C'est fou, mais à force de côtoyer tant de dents carrées, j'en suis venue à complexer sur le pointu vampirique de mes canines.

Tout était à l'envers: les heures, le climat, le sens de la circulation, le menu (là-bas on mange riz et viande au petit-déjeuner), le rythme lent, l'absence de stress. À Ubud, notre ville d'adoption, les centres de relaxation, yoga et méditation pullulent, tous plus magnifiques et moins chers les uns que les autres. Ma mère, qui a développé une forme de traitement unique dérivé de la médecine énergétique, s'est étonnée de l'ouverture d'esprit des gens de la place, qui dépendent davantage du sourire que de la pilule pour se garder en santé.

Moi, j'ai passé toute ma première semaine de voyage devant les toiles des innombrables galeries d'art et ateliers de peintres, souvent semblables puisqu'elles sont issues du même esprit culturel et des couleurs de Bali, mais toutes inspirantes. Étant habile au crayon, j'ai commencé à participer à des ateliers dans une galerie. Un petit endroit sympa où, armé d'une feuille, fusain et chevalet nain, on s'assoit en cercle sur de petits coussins autour d'un modèle nu, aux côtés d'autres artistes, pour laisser éclater notre vision du corps humain.

Échevelés après leur balade en scooter ou bicyclette, les vêtements légers parfois troués d'usure, les gens viennent ici des quatre coins du monde, par habitude, curiosité ou pur hasard, comme moi. Je me suis tissé des liens d'amitié avec plusieurs d'entre eux, certains de mon âge, d'autres non, me créant un petit cercle social absolument disparate. J'ai dessiné, beaucoup, bu des galons de jus de melon d'eau, chanté des berceuses indonésiennes accompagnée du ukulélé d'un vieil octogénaire qui ne comprenait pas l'anglais, mais maîtrisant au son toutes les chansons de Frank Sinatra.

Notre manière de voyager était différente de ce à quoi j'étais habituée. On s'est installées à Ubud comme si on y déménageait, sans se dépêcher de tout voir et saisir en photos dans un horaire condensé qui ne laisse pas place à la respiration. Je suis tombée amoureuse de la culture balinaise, remplie de danses élégantes, de dorures, de temples, de milliers d'offrandes quotidiennes et de cérémonies exubérantes. Un mois a passé et nous avons décidé de renouveler nos visas pour encore 30 jours, la limite permise.

Mes nus de femmes balinaises à la sanguine ont attiré l'attention, et deux d'entre eux ont été sélectionnés pour une exposition pendant les deux semaines suivantes, dans une nouvelle galerie. Mes dessins étaient à l'entrée, juste devant les portes de la salle, les seules oeuvres que l'on pouvait apercevoir de la rue. Ma toute première exposition officielle, imprévue à l'extrême.

À Bali.

C'est ce qui m'a donné la confiance, de retour à la maison, pour plonger dans l'art sans avoir peur du flop.

Je n'ai malheureusement pas ramené avec moi de grand blond musclé, mais ce n'est pas faute d'en avoir rencontré; Bali, c'est le Cuba des Australiens. Peut-être lors de ma prochaine cure de créativité, qui sait...

Ce que je sais, c'est que jamais plus je n'essaierai d'être raisonnable.