On y mange des croissants avec du Nutella au petit-déjeuner, on peut rencontrer ses copains, rue Dumas, près du lycée. Mais c'est toujours la moiteur et les odeurs de l'Inde. C'est Pondichéry, ville mythique.

Quand on y entre par les grands boulevards, on ne voit aucune différence avec les autres villes indiennes: même chaos dans la circulation, même anarchie dans l'aménagement, mêmes saris colorés portés par les femmes, mêmes déchets et vaches sacrées sur le bord des routes. Et on se demande: c'est ça, Pondichéry, joyau de l'ère coloniale?

Il faut être patient. Entrer au coeur de la ville, puis franchir le canal nauséabond qui la traverse pour découvrir la singularité de cette ancienne enclave française au pays de Gandhi. Des édifices élégants aux couleurs ensoleillées s'alignent le long des rues bordées d'arbres majestueux. Des gendarmes coiffés de képis rouges dirigent nonchalamment la circulation. Aux intersections, les noms des rues sont inscrits en français, en plus du tamoul. Et lorsqu'on continue jusqu'au front de mer, on se retrouve sur la large promenade qui, au coucher du soleil, s'anime de vendeurs ambulants et de familles endimanchées venues prendre le frais.

C'est là, dans la vieille ville, qu'opère le charme de Pondichéry. Ce serait un mensonge de dire qu'on se croirait en Europe - la chaleur accablante, les saris et les autorickshaws nous ramènent bien vite en Inde. Mais on peut s'imaginer en France pour de brefs instants, par exemple en commandant un coq au vin, inscrit - en français! - au menu d'un restaurant de la rue du Bazar Saint-Laurent. Ou en passant devant la statue de Jeanne d'Arc, rue Dumas, en face de l'église Notre-Dame-des-Anges, non loin du lycée, rue Victor-Simonel. Ou lorsqu'on voit l'inscription «Hôtel de ville» sur la façade d'un imposant édifice à colonnades de l'avenue Goubert.

Leçon d'histoire

Les Français sont arrivés à Pondichéry en 1674, lorsque la Compagnie des Indes orientales a acheté un petit village de pêcheurs (Pudu Cheri) au sultan de Bijapur pour y installer un comptoir commercial. Avec les années, le village est devenu une ville fortifiée et prospère. Les Français l'ont dotée d'un plan en damier, de places publiques et de plusieurs bâtiments majestueux, sur le modèle des édifices de la métropole. Le territoire de Pondichéry a été rétrocédé à l'Inde en 1954, peu après l'indépendance du pays. Mais la ville a conservé son cachet, ainsi qu'un statut politique particulier: elle est un territoire de l'Union indienne, qui relève non pas de l'État du Tamil Nadu, où elle se trouve, mais directement du gouvernement central de Delhi. D'ailleurs, les taxes, notamment sur l'alcool, y sont beaucoup plus faibles qu'ailleurs en Inde.

Le français a encore le statut de langue officielle sur le territoire de Pondichéry, mais il est de moins en moins parlé. La messe se dit encore dans la langue de Molière à l'église catholique Notre-Dame-des-Anges. «Mais nous n'avons plus qu'une trentaine de familles francophones dans la paroisse», explique le père Michael John Antonysamy, curé de la paroisse, qui supervise la rénovation de son église, à la façade pêche et citron, construite en 1852 sur le modèle de la basilique de Lourdes.

Les francophiles sont sans doute plus nombreux dans les locaux de l'Alliance française, rue Suffren. La devanture de crépi jaune moutarde cache une jolie cour intérieure entourée de classes où des centaines d'élèves indiens apprennent le français. Une jeune fille en sari m'explique, avec un accent impeccable, que je peux devenir membre de l'Alliance pour un mois, moyennant 250 roupies (5,40 dollars). L'inscription donne accès à des films chaque dimanche, à la bibliothèque, au centre multimédia et à des concerts au Café de Flore, un restaurant géré par l'Alliance.

L'influence française se fait aussi sentir dans la cuisine: après plusieurs semaines de massala et de chapati, quel bonheur de mordre dans une baguette ou un croissant, de s'offrir une salade niçoise ou un steak sauce roquefort, ou alors un verre de bordeaux. Plusieurs tables proposent des plats français et on trouve de la Vache qui rit, du Nutella et de l'Orangina sur les tablettes de certaines épiceries. Pondichéry attire de nombreux Français, qui ouvrent des restos, gîtes ou boutiques chics, de sorte que vous pourrez parfois avoir le plaisir de vous faire servir dans votre langue.

Escale zen

Bien des visiteurs sont attirés par Pondichéry, non pas par ses attraits touristiques, mais pour y vivre une expérience spirituelle. C'est en effet dans la vieille ville qu'est installé depuis 1926 l'ashram Sri Aurobindo, qui reçoit de partout dans le monde des milliers d'adeptes de la méditation et du yoga. Ils étudient les enseignements du gourou Sri Aurobindo, qui professe l'évolution de la conscience humaine et la recherche de la perfection par le «yoga intégral». Le gourou est décédé en 1950; c'est une Française, Mirra Alfassa, appelée «La mère» par ses disciples, qui a pris la relève jusqu'à ce qu'elle meure en 1973. Partout dans la ville, on sent la présence de Sri Aurobindo et de La mère : leurs photos sont affichées dans de nombreux commerces et institutions - on peut même acheter des porte-clés à leur effigie. L'ashram a des tentacules dans tous les domaines : il gère plusieurs gîtes (accessibles au grand public), des boutiques, des librairies, des cliniques, des résidences pour personnes âgées, des potagers, des centres de formation, des écoles, une imprimerie, une galerie d'art, une agence de voyages et d'autres services. Les ashramites produisent aussi de l'artisanat, des batiks aux fleurs séchées en passant par la broderie, la sculpture et le papier fait à la main. Une partie de l'ashram peut être visitée, notamment les tombes de Sri Aurobindo et de La mère, décorées d'une profusion de fleurs, où les fidèles viennent se recueillir.

À VOIR

Le quartier français

Se découvre facilement à pied. Le bureau d'information touristique distribue un plan de la ville où est indiqué un circuit historique. Le trajet emprunte les rues tranquilles où la végétation luxuriante déborde des murs de crépi dissimulant de charmants hôtels particuliers du XIXe siècle. Parmi les monuments dignes d'intérêt: le consulat français, la statue de Gandhi, entourée de piliers de granit, l'hôtel de ville, le phare du XIXe siècle, Raj Niwas (palais du gouverneur français de Pondichéry) et le Cercle de Pondichéry, ancien club privé pour les dignitaires. Après cette balade, le joli parc Bharathi est l'endroit idéal pour une pause.

Les églises

Outre Notre-Dame-des-Anges, la cathédrale Notre-Dame-de-l'Immaculée-Conception (1791) et l'église du Sacré-Coeur-de-Jésus (années 1700) valent le détour.

Les temples hindous

Ce sont évidemment les lieux de culte les plus fréquentés. Le plus couru est le temple Sri Manakula Vinayagar, dédié à Ganesh, le dieu à tête d'éléphant. C'est pour cette raison qu'on y trouve un éléphant, un vrai, prénommé Lakshmi. Deux fois par jour, l'animal sort de son enclos et, pour quelques roupies déposées dans sa trompe, tapote la tête des fidèles pour les bénir. Il y a 350 autres temples hindous dans la ville et autour, avec une profusion de sculptures colorées de divinités.

REPÈRES

Hébergement

Pondichéry offre de nombreuses possibilités d'hébergement, dans toutes les catégories de prix. Plusieurs pensions à prix abordable sont gérées par l'ashram Sri Aurobindo - par exemple la sympathique Park Guest House, où les 40 chambres ont un balcon avec vue sur la mer et sur le joli jardin (13$ pour une chambre double sans climatisation). On y impose cependant un couvre-feu à 22h30 et l'interdiction d'alcool et de tabac.

Déplacements

L'aéroport international le plus proche de Pondichéry est celui de Chennai (Madras), à 200 kilomètres au nord (3h30 d'autobus ou 5h de train). Sur place, on se déplace facilement à pied, à vélo, en rickshaw ou en autorickshaw.