Depuis mars 2016, Jonathan B. Roy fait le tour du monde à vélo. Il nous le raconte ici, une aventure à la fois.

Sur une scène de festival en Birmanie, je reçois une leçon d'ouverture pour la nouvelle année.

Je suis hébergé chez une amie d'une amie à Rangoun, la plus grande ville du pays. C'est elle qui m'amène courir au Hash. Tradition britannique remontant aux années 30, le Hash se décrit comme une version moderne de la chasse à courre. Sauf qu'au lieu d'être sur des chevaux à poursuivre un renard, on court à pied en suivant des confettis par terre.

La tradition a pris de l'importance depuis ses débuts. Au départ, à peine quelques officiers postés en Malaisie couraient le Hash.

Aujourd'hui, près de 2000 villes dans le monde en organisent un. Mais en Asie du Sud-Est, cet événement me rend mal à l'aise.

Pas à cause des chansons grivoises et de l'ambiance d'initiation universitaire, mais plutôt à cause des relents d'époque coloniale qui habitent ce rituel.

Nous arrivons au Hash dans un VUS climatisé, conduit par un chauffeur privé local, tout comme l'écrasante majorité de la cinquantaine de participants. Il semble que ce soit « comme ça ici » pour les étrangers installés à Rangoun.

Le rôle des Birmans se limite à servir des rafraîchissements aux coureurs, pour la plupart des Blancs habillés en Under Armour et Lululemon.

Nous. Eux.

Cette impression coloniale m'est confirmée par Mariko, une jeune Américaine d'origine asiatique qui travaille ici. Elle me dit que peu de gens lui parlent, car ils tiennent pour acquis, ses traits obligent, qu'elle est là pour déboucher la bière plutôt que pour courir. « Ils sont toujours surpris quand je dis que je travaille pour une ONG. »

Notre sentier de confettis a été dispersé à travers les champs et les villages, comme si on n'y trouvait pas déjà assez de déchets. On suit cette piste, en passant littéralement dans les cours des gens. On passe même entre la porte d'entrée d'une bicoque en paille et un enfant d'une douzaine d'années, surpris nu pendant qu'il se lave à l'extérieur.

Il doit y avoir une meilleure façon d'aller à la rencontre des habitants du pays qui nous accueille.

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Mariko est aussi percussionniste. Le lendemain soir, je me retrouve avec elle et d'autres musiciens dans un grand festival célébrant la fin de la mousson.

Cette fois, je suis le seul Blanc dans une marée de Birmans.

Pour célébrer ce passage, des centaines de bougies sont allumées près du temple, des femmes passeront la nuit dans une frénétique compétition de tissage de robes du Bouddha, et des musiciens connus dans toute la Birmanie se relaieront sur scène.

Je ne reconnais aucun de la dizaine d'instruments ! Mais c'est sans importance, on m'invite à monter et à rester aussi longtemps que je le désire sur cette scène pour prendre les meilleures photos.

Ici, pas de nous et d'eux. Juste un nous. Et pas mal inclusif.

Des inconnus m'offrent de l'eau, une place à l'arrière-scène, me posent des questions.

Parmi ces gens dont je ne comprends pas la langue, mais qui me font découvrir leur culture, je me sens soudain beaucoup plus à l'aise que la veille. Et ils me donnent une leçon d'ouverture.

Au moment de tourner le calendrier sur cette année charnière, où toutes nos idées ont été chamboulées, je ne peux m'empêcher de mettre en contraste ces deux journées.

On a souvent peur de ce qu'on ne connaît pas. De ce qu'on ne veut pas connaître parce qu'on a eu la chance de gagner à cette loterie de la naissance. On parle de « ces pays-là » et de leurs habitants, y englobant la majorité du monde, sans trop réellement les connaître.

Même - surtout - quand ces « gens-là » habitent chez nous.

Si j'ai un objectif pour l'année à venir, c'est de m'inspirer de ces musiciens birmans.

Et de cesser de voir un « eux », alors qu'il n'y a qu'un « nous ».

Photo Jonathan B. Roy, collaboration spéciale

Le pat wain, alliant percussion et mélodies, est l'élément central du groupe de musique.

Photo Jonathan B. Roy, collaboration spéciale

Un batteur au festival, à Yangon, au Myanmar