Il y a à Dacca environ un demi-million de tricycles à passagers, ces fameux rickshaws. Si vous êtes de passage dans la capitale du Bangladesh, vous devez absolument monter à bord. Mais vous ne passerez pas inaperçu...

Le conducteur de rickshaw tente de se frayer un chemin dans la circulation dense du vieux Dacca en faisant frénétiquement tinter sa sonnette. Peine perdue, la ruelle étroite est bloquée. Il doit arrêter de pédaler - un moment de répit qu'il apprécie sûrement, avec la chaleur qu'il fait.

Pendant qu'il essuie la sueur qui coule de son front avec son foulard à carreaux, l'appel à la prière retentit des nombreux minarets des alentours. Nous en profitons pour observer le spectacle de la rue: un homme portant le longyi (jupe traditionnelle) transporte une douzaine de pastèques dans un immense panier posé sur sa tête, un jeune garçon fouille dans les déchets pour trouver des matériaux à recycler, une femme dont on ne voit les yeux que par la fente de son niqab circule en rasant les murs dans cette foule masculine et un marchand à la barbe colorée au henné enguirlande le conducteur de la charrette responsable de l'embouteillage. Heureusement, les rues de la vieille ville sont interdites aux véhicules à essence, ce qui évite de suffoquer lorsqu'on est pris dans un bouchon. Il n'y a que des rickshaws coincés ici. Et quand ils se remettent enfin à rouler, le tableau animé et multicolore qu'ils peignent dans la ville reprend son mouvement.

Il y aurait à Dacca de 400 000 à 600 000 de ces tricycles pour deux passagers, ce qui vaut à cette ville de 12,5 millions d'habitants le titre de capitale mondiale du rickshaw. Et ils sont plus qu'un moyen de transport: ce sont eux qui donnent des couleurs à la bruyante, poussiéreuse et chaotique capitale du Bangladesh. Ils en sont le principal attrait, en raison des peintures extravagantes qui les décorent. Portraits de vedettes de cinéma ou de joueurs de cricket, animaux fantastiques, paysages campagnards, monuments célèbres et fleurs imaginaires aux teintes vives ornent chaque espace disponible sur les véhicules.

Menacés de disparition

Les rickshaws ont fait leur apparition dans les rues de Dacca dans les années 30, en provenance du Japon. Ils se sont aussi installés dans d'autres pays d'Asie, mais nulle part ils ne sont décorés de façon aussi poussée qu'au Bangladesh. La tradition de les peindre de motifs colorés et de dessins naïfs est née dans les années 50, alors que leurs conducteurs cherchaient à se distinguer pour attirer les clients. Aujourd'hui, des morceaux d'«art sur rickshaw» sont même offerts aux visiteurs dans les boutiques de souvenirs.

Malheureusement, cet attrait unique est menacé de disparition, supplanté par les moyens de transport plus rapides, notamment les voitures-rickshaws fonctionnant au gaz naturel. Le gouvernement aimerait éliminer des rues de la capitale les anciens rickshaws à pédales, accusés de provoquer la congestion routière à cause de leur lenteur. Déjà, certaines grandes artères leur sont interdites. Mais chaque tentative de les bannir soulève d'importantes protestations de la part d'environnementalistes qui estiment que ce véhicule écolo a toujours sa place. Les conducteurs, eux, craignent de perdre leur maigre gagne-pain. Ces hommes aux mollets d'acier sont généralement des campagnards venus tenter leur chance en ville. Ils louent leur engin à un propriétaire qui en possède plusieurs.

Pendant qu'ils circulent encore librement dans la plupart des rues de Dacca, ce sont les meilleurs véhicules à emprunter pour s'immerger dans le bouillonnement qui agite la ville. Une telle visite n'est pas de tout repos. Les seuls voyageurs qui y trouveront du plaisir sont ceux qui cherchent l'aventure et l'authenticité, pour qui le confort et la facilité ne sont pas essentiels. Vous risquez d'être le seul touriste étranger en ville, donc vous ne passerez pas inaperçu: vous serez montré du doigt et vous créerez des attroupements autour de vous. Et comme le Bangladesh est le pays le plus densément peuplé au monde, les attroupements, comme les embouteillages, peuvent prendre des proportions gigantesques. Mais vous récolterez aussi des tonnes de sourires, des poignées de main de gens accueillants et pourriez même bénéficier de services gratuits d'un guide improvisé et avisé, trop heureux de vous faire visiter les attraits de sa ville.

Dacca souffre d'importants problèmes de salubrité, de pollution et de pauvreté. Il faut donc être prêt à marcher dans les déchets, à sentir les égouts et à s'habituer aux mendiants infirmes en haillons aux coins de rue. Mieux vaut savoir que la ville occupe la peu enviable avant-dernière position des villes où il fait bon vivre au palmarès du magazine The Economist.

La mégapole n'est cependant pas dénuée d'attraits. En voici quelques-uns:

Fort Lalbagh

Cette construction du XVIIe siècle est une oasis de calme au milieu de la frénésie environnante. À l'intérieur des murailles de brique ocre, on peut se promener dans les jolis jardins et visiter trois édifices: un mausolée, une mosquée et un petit musée présentant d'intéressantes peintures mongoles. Le fort est un lieu de rencontre prisé des jeunes couples, qui ont peu d'endroits où se conter fleurette.

Ahsan Manzil

C'est dans ce palais peint en rose, construit en face de la rivière Buriganga au XIXe siècle, qu'habitait le nawab, le prince local. On peut y visiter les appartements meublés comme à l'époque et profiter de la vue depuis les larges vérandas.

Balade en barque

Pour une autre perspective sur la ville, rien de mieux que de descendre sur l'eau. Sur les rives, des barques rudimentaires attendent les clients qui veulent traverser et leurs propriétaires vous emmeneront volontiers faire un tour. Vous vous sentirez minuscule devant les immenses traversiers déglingués qui font les manchettes lors des trop nombreux naufrages meurtriers. Ailleurs, des enfants jouent dans l'eau brunâtre, des femmes font la lessive, des pêcheurs rentrent au port, des remorqueurs tirent des barges remplies de marchandises, entre les cargos rouillés et les barques qui font des allées et venues incessantes entre les deux rives.

Mosquée Sitara

Elle est aussi appelée la mosquée étoilée, parce que ses trois dômes de céramique blanche sont décorés d'une multitude de petites étoiles bleues, ce qui la rend très différente des autres mosquées, généralement de couleur ocre. L'intérieur, aussi garni de jolie céramique, est accessible aux non-musulmans.

Église arménienne

Une petite colonie arménienne installée à Dacca a construit cette petite église rose en 1781, ce qui en fait l'un des plus anciens édifices de la ville. Peu nombreuses, les familles arméniennes étaient cependant très influentes. Plusieurs Arméniens sont enterrés autour de l'église, sous des pierres tombales gravées de motifs fleuris ou de crânes.

Repères

-Il faut généralement une trentaine d'heures et deux escales (une en Europe et une en Inde ou au Moyen-Orient) pour atteindre Dacca de Montréal, à un prix variant entre 1600 et 2000$.

-Une fois le coûteux billet d'avion payé, le Bangladesh est le paradis des voyageurs à petit budget. On peut se loger à Dacca pour seulement 2$ la nuit dans les hôtels bas de gamme ou, pour un confort minimal, entre 10 et 15 $. Un très bon repas coûte moins de 2$.

-Pour faciliter vos rapports avec les gens de l'endroit, il est recommandé d'adopter les vêtements locaux, surtout pour les femmes.

-Un salwar kameez, composé d'une longue tunique et d'un pantalon ample, est très confortable et peut être fait sur mesure pour seulement 5$.

-Lonely Planet publie le seul guide de voyage sur le Bangladesh.