Le temps où Beyrouth, Bagdad ou Le Caire étaient les capitales culturelles du monde arabe semble révolu: aujourd'hui, les villes du Golfe se font concurrence à coups de pétrodollars, bâtissant des musées dessinés par des architectes de renom et organisant des festivals de cinéma.

La compétition est féroce entre les plus riches: doté de réserves de pétrole qui devraient durer cent ans, Abou Dhabi construit un quartier culturel sur l'île de Saadiyat, au large de la ville, capitale des Émirats arabes unis.

Il abritera la fine fleur des musées comme le Louvre Abou Dhabi et un Guggenheim, et quelque 145 000 personnes devraient y vivre à terme, dont des artistes et des étudiants.

Quant au Qatar à l'immense richesse gazière, il a pris de l'avance dans cette guerre culturelle et Doha abrite déjà depuis 2008 le plus grand musée d'art islamique de la région.

Ces projets culturels devraient à terme être des vecteurs de tourisme, et donc de revenus. Mais l'intérêt économique ne semble pas être la principale considération de ces jeunes États qui n'ont accédé à l'indépendance qu'au début des années soixante-dix du siècle dernier.

Pour l'écrivain émirati Sultan Sooud Al-Qassemi, ces pays «veulent affirmer leur identité». «Contrairement au reste du monde arabe, l'histoire des pays du Golfe est surtout une histoire orale (...) et il est nécessaire de la documenter», explique-t-il.

Un avis partagé par David Bertolotti, directeur de l'Institut Français des Émirats arabes unis, selon qui ces pays investissent dans la culture notamment, car «c'est le moyen d'inventer une nouvelle identité arabe moderne, enjeu qui tient à coeur de nombre des dirigeants de la région».

Selon lui, l'investissement dans la culture est aussi «une manière de préserver un patrimoine, réflexe bien naturel, surtout dans des pays où la population autochtone est minoritaire», comme aux Émirats où elle représente quelque 12% d'une population composée surtout d'expatriés.

Une nouvelle destination culturelle

Les projets de l'île de Saadiyat devaient initialement s'achever en 2013 ou 2014, mais une réévaluation des dépenses de l'État a entraîné un retard: le Louvre Abou Dhabi doit maintenant voir le jour en 2015.

Conçu par Jean Nouvel, cet assemblage de constructions d'une blancheur immaculée recouvertes d'un dôme aérien est inspiré de l'architecture traditionnelle arabe et reprend à l'infini le motif des feuilles de palmier qui s'entrecroisent.

Ce «Louvre des sables» a commencé à constituer sa propre collection, dont la Madone de Bellini, deux Manet et un Mondrian. Il bénéficiera de prêts du musée du Louvre, du Musée d'Orsay et du Centre Pompidou, en vertu d'un accord signé avec la France pour trente ans et en contrepartie d'un milliard d'euros, en dépit des réserves du monde de l'art français.

Le Guggenheim Abou Dhabi, à l'ouverture prévue en 2017, a été conçu par l'architecte américano-canadien Frank Gehry. L'île doit également abriter le Musée Zayed, conçu par le Britannique Norman Foster et dédié à la mémoire du fondateur des Émirats, cheikh Zayed ben Sultan Al-Nahyane, un musée maritime, et un centre des Arts de la scène conçu par l'architecte irako-britannique Zaha Hadid.

L'île de Saadiyat «va s'imposer comme une destination culturelle qui attirera les visiteurs du monde de l'art et de la culture», affirme le président de la Compagnie étatique pour la promotion du tourisme et des investissements (TDIC), cheikh Sultan ben Tahnoon Al-Nahyane.

Abou Dhabi organise déjà, depuis 2007, un festival de cinéma qui commence à éclipser celui plus établi du Caire et finance de jeunes réalisateurs arabes.

Une des collections les plus prestigieuses au monde

Quant au Qatar, son musée d'art islamique abrite une collection décrite comme l'une des plus prestigieuses au monde, rassemblant des objets d'art et d'histoire collectés sur trois continents, d'Espagne jusqu'en Inde, et illustrant la civilisation musulmane, du VIIe au XIXe siècle.

Le bâtiment a été conçu par l'Américain d'origine chinoise Ieoh Ming Pei, architecte de la Pyramide du Louvre. C'est la fille de l'émir, cheikha Mayassa Al-Thani, qui dirige l'autorité des musées du Qatar et qui est également responsable de la collection de tableaux internationaux du pays.

Selon le magazine Vanity Fair, le Qatar aurait acquis en février dernier la meilleure des cinq versions des Joueurs de cartes de Paul Cézanne, pour un montant estimé à 250 millions de dollars. Mais il n'a pas été possible d'obtenir confirmation auprès des autorités.

Le Qatar s'est également doté en 2010 du premier musée consacré à l'art moderne arabe, abritant près de 6500 pièces, «Mathaf» (musée, en arabe), première institution à rassembler les oeuvres des grands maîtres arabes.

Pour sa part, l'architecte français Jean Nouvel a été chargé du projet du Musée national du Qatar.

Ce pays organise depuis trois ans le Festival Doha-Tribeca, réplique du Festival de cinéma de Manhattan fondé par Robert de Niro, qui concurrence directement ceux d'Abou Dhabi et Dubaï.

Et si Dubaï a pâti de ses problèmes de dette, l'émirat s'impose néanmoins comme centre d'art privé, fondé sur un réseau de galeries et un marché de l'art régional.

Il abrite notamment une Foire d'art contemporain annuelle et des ventes aux enchères qui ont fait flamber les prix des oeuvres des artistes arabes et iraniens.

Dubaï a en outre annoncé en mars qu'il allait se doter d'un musée d'art moderne et d'un opéra, premiers projets annoncés depuis la crise qui a secoué en 2009 l'émirat surendetté. Ils seront situés près de Burj Khalifa, la tour la plus haute du monde devenue le symbole de la ville-émirat.